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SAINT-JUST

Salut public, il faut que tout cela vive à Blérancourt, ou mieux à Soissons, dans une étude de procureur. On a jugé qu’il perdit la tête quand on découvrit cette lettre enragée. Il y a toutefois une circonstance atténuante, c’est qu’on la retrouve dans ses papiers, il ne l’a jamais envoyée :

Je vous prie, mon cher ami, de venir à la fête ; je vous en conjure ; mais ne vous oubliez pas toutefois dans votre municipalité. J’ai proclamé ici le destin que je vous prédis : vous serez un jour un grand homme de la République. Pour moi, depuis que je suis ici, je suis remué d’une fièvre républicaine qui me dévore et me consume. J’envoie par le même courrier, à votre frère, ma deuxième lettre. Procurez-vous-la dès qu’elle sera prête. Donnez-en à MM. de Lameth et Barnave ; j’y parle d’eux. Vous m’y trouverez grand quelquefois. Il est malheureux que je ne puisse rester à Paris, je me sens de quoi surnager dans le siècle : compagnons de gloire et de liberté, prêchez-la dans vos sections ; que le péril vous enflamme. Allez voir Desmoulins, embrassez-le pour moi, et dites-lui qu’il ne me reverra jamais, que j’estime son patriotisme, mais que je le méprise, lui, parce que j’ai pénétré son âme, et qu’il craint que je ne le trahisse. Dites-lui qu’il n’abandonne pas la bonne cause et recommandez-le-lui, car il n’a point encore l’audace d’une vertu magnanime. Adieu, je suis au-dessus du malheur. Je supporterai tout ; mais je dirai la vérité. Vous êtes tous des lâches qui ne m’avez point apprécié. Ma palme s’élèvera pourtant, et vous obscurcira peut-être. Infâmes que vous êtes, je suis un fourbe, un scélérat, parce que je n’ai pas d’argent à vous donner. Arrachez-moi le cœur et mangez-le ; vous deviendrez ce que vous n’êtes point : grands ! J’ai donné à Clé un mot pour lequel je vous prie de ne lui point