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SAINT-JUST

vanité, tous les vices, toutes les ambitions, toutes les frénésies et mélancolies de sa jeunesse se sont amalgamés violemment et fondus ensemble dans le moule révolutionnaire pour prendre la forme et la rigidité d’un acier tranchant. Supposez un glaive vivant, qui sente et veuille conformément à sa trempe et à sa structure, il lui plaira d’être brandi, il aura besoin de frapper ; nul autre besoin chez Saint-Just. Silencieux, impassible, tenant les autres à distance, aussi impérieux que si la volonté du peuple unanime et la majesté de la raison transcendante résidaient en sa personne, il semble avoir réduit ses passions à l’envie de briser et d’épouvanter. On dirait que, pareil aux conquérants barbares, il mesure la grandeur qu’il se confère à la grandeur des abattis qu’il fait ; nul autre n’a fauché si largement à travers les fortunes, les libertés et les vies, nul autre n’a mieux rehaussé l’effet terrifiant de ses jonchées par le laconisme de sa parole et la soudaineté de ses coups[1].

Et Michelet :

Saint-Just apparut (à Strasbourg) non comme un représentant, mais comme un roi, comme un dieu armé de pouvoirs immenses sur deux armées, cinq départements, il se trouva plus grand encore par sa haute et fière nature. Dans ses écrits, ses paroles, dans ses moindres actes, en tout éclatait le héros, le grand homme d’avenir, mais nullement de la grandeur qui convient aux républiques. L’idée d’un glorieux tyran, telle que Montes-

  1. La Révolution, t. III, p. 282.