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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

« Que se passe-t-il donc, monsieur ? »

Je lui fis signe violemment de se taire, car je pouvais avoir encore cette suprême espérance que nous étions dans la chambre des supplices, sans que le monstre n’en sût rien !

Et même, cette espérance-là n’était point le salut car je pouvais encore très bien m’imaginer que, du côté du troisième dessous, la chambre des supplices était chargée de garder la demeure du Lac, et, cela peut-être, automatiquement.

Oui, les supplices allaient peut-être commencer automatiquement.

Qui aurait pu dire quels gestes de nous ils attendaient pour cela ?

Je recommandai l’immobilité la plus absolue à mon compagnon.

Un écrasant silence pesait sur nous.

Et ma lanterne rouge continuait à faire le tour de la chambre des supplices… je la reconnaissais… je la reconnaissais…


X

dans la chambre des supplices


Suite du récit du Persan.


Nous étions au centre d’une petite salle de forme parfaitement hexagonale… dont les six pans de murs étaient intérieurement garnis de glaces… du haut en bas… Dans les coins, on distinguait très bien les « rajoutis » de glace… les petits secteurs destinés à tourner sur les tambours… oui, oui, je les reconnais… et je reconnais l’arbre de fer dans un coin, au fond de l’un de ces petits secteurs… l’arbre de fer, avec sa branche de fer… pour les pendus.

J’avais saisi le bras de mon compagnon. Le vicomte de Chagny était tout frémissant, tout prêt à crier à sa fiancée le secours qu’il lui apportait… Je redoutais qu’il ne pût se contenir.

Tout à coup, nous entendîmes du bruit à notre gauche.

Ce fut d’abord comme une porte qui s’ouvrait et se refermait, dans la pièce à côté, puis il y eut un sourd gémissement. Je retins plus fortement encore le bras de M. de Chagny, puis nous entendîmes distinctement ces mots :

« C’est à prendre ou à laisser ! La messe de mariage ou la messe des morts. »

Je reconnus la voix du monstre.

Il y eut encore un gémissement.

À la suite de quoi, un long silence.

J’étais persuadé, maintenant, que le monstre ignorait notre présence dans sa demeure, car s’il en eût été autrement, il se serait bien arrangé pour que nous ne l’entendions point. Il lui eût suffi pour cela de fermer hermétiquement la petite fenêtre invisible par laquelle les amateurs de supplices regardent dans la chambre des supplices.

Et puis, j’étais sûr que s’il avait connu notre présence, les supplices eussent commencé tout de suite.

Nous avions donc, dès lors, un gros avantage sur Erik : nous étions à ses côtés et il n’en savait rien.

L’important était de ne le lui point faire savoir, et je ne redoutais rien tant que l’impulsion du vicomte de Chagny qui voulait se ruer à travers les murs pour rejoindre Christine Daaé, dont nous croyions entendre, par intervalles, le gémissement.

« La messe des morts, ce n’est point gai ! reprit la voix d’Erik, tandis que la messe de mariage, parlez-moi de cela ! c’est magnifique ! Il faut prendre une résolution et savoir ce que l’on veut ! Moi, il m’est impossible de continuer à vivre comme ça, au fond de la terre, dans un trou, comme une taupe ! Don Juan triomphant est terminé, maintenant je veux vivre comme tout le monde. Je veux avoir une femme comme tout le monde et nous irons nous promener le dimanche. J’ai inventé un masque qui me fait la figure de n’importe qui. On ne se retournera même pas. Tu seras la plus heureuse des femmes. Et nous chanterons pour nous tout seuls, à en mourir. Tu pleures ! Tu as peur de moi ! Je ne suis pourtant pas méchant au fond ! Aime-moi et tu verras ! Il ne m’a manqué que d’être aimé pour être bon ! Si tu m’aimais, je