Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/30

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bien des dizaines d’années ou plutôt pour de longs siècles, les subsistances à bon marché.

Anticipant sur la suite de cet ouvrage, nous avons très-succinctement démontré que les théories de Malthus et de Ricardo n’ont pas d’application, du moins universelle, à l’époque du monde où nous vivons. Il en est de même de la théorie de Turgot et de toute l’école anglaise sur le salaire, sur ce que celle-ci appelle « le salaire naturel ». On se souvient des termes où a été formulée cette prétendue loi d’airain. « En tout genre de travail, il doit arriver et il arrive, en effet, que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance[1]. » Cette formule est sœur, en


    il est incontestable que dans beaucoup de fermages on rencontre trois éléments ; d’abord l’intérêt et l’amortissement du capital engagé, incorporé dans la terre en second et en troisième lieu la représentation de la supériorité de fécondité naturelle ou de la supériorité de situation de certaines terres par rapport aux autres terres en culture. Ce qui est faux dans la théorie de Ricardo, c’est ce qui concerne l’ordre historique des cultures, c’est aussi la conclusion que la rente de la terre a une tendance à toujours hausser.

  1. Il est malheureux que la plupart des économistes aient adopté comme une sorte de postulat une proposition aussi creuse et aussi dépourvue de démonstration. Malgré l’autorité des grands noms qui la recommandent, nous la regardons comme une niaiserie contre laquelle protestent l’expérience et l’évidence. « En tout genre de travail, dit Turgot, etc. » Nous voudrions savoir si les boulangers de Paris, qui gagnent actuellement 6 francs par jour et qui se mettent en grève au moment où nous écrivons pour en gagner 7, plus 20 centimes de vin et 2 livres de pain, si les ouvriers fumistes parisiens qui obtiennent également 7 francs de rémunération journalière, si les charpentiers et les menuisiers qui se sont mis en grève pour gagner la même somme, si les maçons parisiens qui sont payés 7 et 8 francs par jour, si les fondeurs en bronze qui se font 8, 9, 10 et jusqu’à 12 francs de salaire quotidien et qui n’en sont pas contents puisqu’ils suspendent leur travail afin d’obtenir mieux, nous voudrions savoir si tout ce monde qui est légion, vérifie l’exactitude de la sentence de Turgot « En tout ce genre de travail il doit arriver et il arrive, en effet, que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour assurer sa subsistance. Notez les premiers mots : en tout genre de travail.
    Cependant cette proposition pédantesque, qui n’a aucun fondement expérimental et qui n’est qu’une affirmation arbitraire, a fait fortune. Lisez la célèbre adresse du socialiste allemand, Ferdinand Lassalle, au comité central pour la convocation, à Leipzig, d’un Congrès général des travailleurs allemands : on y parle de cette « cruelle loi d’airain, jenes grausame eherne Gesetz, comme si c’était l’axiome sur lequel reposât toute la science économique ; il aurait la même évidence que l’axiome géométrique d’après lequel la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre. Écoutez Lassalle (opus citatum, fünfte Auflage) : « Cette cruelle loi d’airain, dit-il en s’adressant aux ouvriers, vous devez avant toute chose la graver profondément,