Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/344

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situation transitoire : c’est la première période de confusion, la phase chaotique que traverse toute institution nouvelle.

Quelles sont les raisons d’être de la Société anonyme, et quelle est la sphère naturelle de son action ?

La Société anonyme a deux objets pour lesquels elle est plus propre que toute autre combinaison. Le premier, c’est de recueillir de gros capitaux pour faire face à de très-grandes entreprises auxquelles ne suffiraient pas les forces individuelles dans une société où la fortune est très-divisée. Le second objet de la Société anonyme, c’est, à une époque de renouvellement industriel et commercial, d’attirer vers des entreprises aléatoires, incertaines, où l’échec peut être complet, des capitaux qui ne viendront que si on limite au montant des actions qu’il souscrit la perte éventuelle de chaque participant. La Société anonyme permet d’oser, sans que personne courre le risque d’être complètement ruiné. La division des placements fait qu’il, se rencontre des souscripteurs pour les œuvres les plus audacieuses du moment qu’elles offrent un attrait à l’imagination humaine et qu’elles présentent une chance même minime de réussite.

La Société anonyme est donc justifiée par l’une ou l’autre de ces deux conditions : grandeur de l’entreprise, aléa de l’entreprise. Quand ces deux conditions sont réunies, rien ne peut remplacer la Société anonyme ; ou du moins l’État seul, la force publique qui dispose de l’impôt, peut se substituer à elle mais n’est-il pas bien préférable qu’au lieu d’être disséminés sur tout le monde par la voie taxative de l’impôt les frais des grandes entreprises soient couverts avec des risques limités par les hommes entreprenants, les hommes de foi, les hommes de jeu, les hommes opulents qui se rencontrent toujours en assez grand nombre dans une vieille et prospère société ?

Le canal de Suez est le meilleur exemple des services que peut rendre la Société anonyme, ce merveilleux instrument de progrès. Que de temps n’eût-il pas fallu pour mener à bonne fin cette œuvre civilisatrice, si l’on avait dû obtenir le concours pécuniaire des différents États de l’Europe ? Que de projets et de rapports d’ingénieurs des diverses nationalités ? Que de discus-