Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/43

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autrefois de grand luxe, qui sont devenus de l’usage le plus vulgaire bas, souliers, chemises, rideaux, tapis, fauteuils, bougies, etc. Ce qui était, il y a quelques siècles, une parure exceptionnelle pour les grandes dames, la moindre fille d’atelier s’en sert journellement sans y attacher d’importance. Ainsi le domaine commun de l’humanité s’accroît à chaque génération le superflu d’hier devient le nécessaire d’aujourd’hui. Déjà Adam Smith faisait une remarque infiniment moins exacte de son temps que du nôtre : « Il est bien vrai, disait-il, que le mobilier du plus petit particulier paraîtra extrêmement simple et commun, si on le compare avec le luxe extravagant « d’un grand soigneur ; cependant entre le mobilier d’un prince d’Europe et celui d’un paysan laborieux et rangé il n’y a peut-être pas autant de différence qu’entre les meubles de ce dernier et ceux de tel roi d’Afrique qui règne sur 10 000 sauvages nus, et qui dispose en maître absolu de leur liberté et de leur vie[1]. » Ce qu’Adam Smith suggérait comme une vraisemblance est aujourd’hui une certitude. Tous les meubles que l’on admire dans l’hôtel d’un financier, on les retrouve, plus grossiers sans doute, mais aussi commodes, dans les mansardes des bons ouvriers. La matière est différente, et le tour artistique, l’élégance de la forme ne sont pas les mêmes mais qu’importe pour la satisfaction des besoins physiques ? Le trait caractéristique de notre temps, c’est que toutes nos inventions mécaniques et toutes nos découvertes chimiques ne sont pas parvenues à empêcher le renchérissement des objets de vrai luxe, et qu’au contraire elles ont merveilleusement abaissé le prix des articles manufacturés de consommation générale.

Faut-il citer des chiffres dans une matière qui est d’une aussi complète évidence et où l’œil de chacun est un témoin convaincant ? Oui certes, puisque notre époque ne reconnaît que le chiffre comme argument décisif et démonstratif. Eh bien ! que l’on parcoure les savantes recherches de M. de Foville sur les variations des prix qu’on lise les enquêtes industrielles de 1870

  1. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, édit. de Joseph Garnier, t. I, p. 103.