Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/468

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inférieures de s’élever au-dessus de son point de départ.

Pour les salaires, le chapitre précédent a démontré que le progrès est incontestable : la rémunération de l’ouvrier s’est accrue, même en tenant compte des variations du prix des choses. Constate-t-on le même progrès pour les autres éléments de bien-être ou de sécurité que nous venons d’énumérer ?

Le but de la vie n’est, certes, pas un travail continu, sans autre relâche que celle qui est indispensable aux besoins du corps. Nous avons caractérisé plus haut ce que l’on a appelé le « sisyphisme », et cet état nous est apparu comme une sorte d’enfer terrestre ; tous les ingénieux mécanismes qu’invente l’esprit fécond de l’humanité, toutes les victoires que nous remportons sur les forces de la nature et qui se terminent par leur asservissement, ne doivent pas uniquement aboutir à multiplier la production, la consommation, sans diminuer d’une minute la longueur de la journée de travail, sans rien ajouter aux doux loisirs de l’homme.

Si les 30 millions de nouveaux travailleurs de fer et d’acier, qui représentent en France la force captive et docile des machines à vapeur, n’avaient fait qu’accroître un peu la rémunération de l’ouvrier, que lui permettre de se mettre sous la dent un peu plus de viande, sur le corps ou dans sa demeure un peu plus d’étoffes, ce serait un bien mince et presque insignifiant service qu’ils auraient rendu à l’humanité.

L’idéalisme ne doit pas être absent de l’économie politique. Toute notre lutte contre la nature doit avoir pour but de nous mettre au-dessus d’elle, de nous affranchir d’elle, non pas pour toute notre vie, mais pour un certain nombre d’heures par jour. Plus il devient facile à l’homme de satisfaire ses besoins matériels de première nécessité, plus il convient qu’il se réserve du temps pour ses besoins intellectuels et moraux, pour cette vie supérieure à laquelle il est appelé. Tout progrès humain est duperie s’il n’assure pas à l’homme une plus grande indépendance des besoins physiques, s’il ne lui procure pas plus de repos, plus de temps affranchi de la servitude des soucis de