Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/52

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nent chaque jour plus pauvres. Cependant, les améliorations partielles et graduelles que nous venons de décrire ne touchent pas le cœur de ceux qui se sont faits les apôtres des revendications populaires. C’est avec un superbe dédain que ces hommes parlent de ces progrès qu’ils qualifient de mesquins et d’insignifiants. Pour eux, le mot de pauvreté n’a pas de sens absolu il indique simplement une relation entre les moyens de jouir qu’a un individu et les moyens de jouir qu’ont d’autres membres de la société. La pauvreté, ce n’est plus le manque de ressources propres pour lutter contre la faim, contre le froid, contre la maladie la pauvreté, c’est l’état de tout homme qui ne peut se procurer toutes les jouissances qu’un autre de ses semblables se donne. Ainsi un ouvrier bien nourri, bien vêtu, bien logé, confortablement meublé, ayant en outre un dépôt important à la caisse d’épargne et des valeurs mobilières dans son portefeuille, allant le dimanche ou le lundi en tramway passer la journée à la campagne et revenant le soir assister du haut des galeries supérieures aux représentations d’un théâtre populaire, cet ouvrier se déclare pauvre parce qu’il n’a ni hôtel, ni domestiques, ni voiture, ni chevaux, ni loge dans les grands théâtres.

Telle est, entre autres, la doctrine du célèbre socialiste allemand Ferdinand Lassalle. Lisez sa lettre au Comité central pour la convocation d’un Congrès général des travailleurs allemands à Leipzig, et vous verrez que telle est sa prétention. « Remarquez-bien ma parole, messieurs, écrit-il. Il peut arriver par la raison indiquée que le minimum nécessaire d’existence et, par suite, la situation de la classe ouvrière (Arbeiterstand), si on les compare d’une génération à l’autre, se soient un peu élevés. Si cela est arrivé en effet, si réellement l’ensemble de la situation de la classe ouvrière et d’une manière continue s’est améliorée à travers les siècles, messieurs, c’est là une question très-difficile, très-compliquée, qui comporte beaucoup trop de science pour que ceux-là eussent été capables de la résoudre, même approximativement, qui cherchent à vous distraire (amüsiren) en vous représentant quel