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LES RAVAGEURS

aux intrus qui pourraient venir la troubler pendant le pénible travail de la métamorphose.

Une autre précaution est prise, précaution fondamentale sans laquelle le papillon périrait misérablement, car il n’a pas les robustes mandibules de la larve, ces crocs durs qui rongent le bois, mais seulement une trompe délicate, incapable de percer la feuille la plus mince. Comment ferait-il donc s’il naissait au cœur d’une branche, dans un couloir fermé par un bout et encombré de débris à l’autre ? Faute d’outils pour s’ouvrir un chemin, il périrait sans pouvoir apparaître au jour, où il doit vivre. Que fait la chenille pour lever la future difficulté ? Elle n’écoute plus sa prudence ordinaire, qui lui défendait d’attaquer l’écorce, crainte de se trahir ; elle va droit à la surface, et ses derniers coups de dents ouvrent une fenêtre par où s’envolera le papillon. Cela fait, les mandibules peuvent tomber, le casque de corne peut disparaître ; ces outils sont désormais inutiles, car tout est disposé en vue de l’avenir. La chenille se recule donc un peu de la fenêtre ouverte et se prépare à la transfiguration finale.

Jules. — C’est admirable, oncle Paul ; on dirait que la chenille prévoit l’avenir.

Paul. — Elle le prévoit en effet, non péniblement comme nous et d’une manière incertaine, par une combinaison rationnelle d’idées, mais d’emblée, sans réflexion, sans aucune chance d’erreur. Les secrets pressentiments de l’instinct lui donnent cette merveilleuse prévision, dont elle n’a pas conscience.