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THUCYDIDE, LIV. I.

meures ; et quelques-uns même, devenus opulens, s’environnèrent de murs. Épris de l’amour du gain, les faibles supportèrent l’empire des plus forts ; les plus puissans, jouissant d’une grande fortune, se soumirent des cités inférieures. Telles étaient les mœurs publiques, lorsque enfin on partit pour l’expédition de Troie.

Chap. 9. Si Agamemnon parvint à rassembler une flotte, ce fut bien moins, je crois, parce qu’il conduisait les amans d’Hélène liés par un serment fait entre les mains de Tyndare, que parce qu’il l’emportait en puissance sur tous les Hellènes d’alors.

Si l’on en croit ceux qui, sur le rapport des anciens, connaissent le mieux les antiquités du Péloponnèse, Pélops, grâces à de grandes richesses qu’il apporta d’Asie, commença par s’établir une puissance sur des hommes pauvres, et, tout étranger qu’il était, donna son nom au pays où il vint se fixer : mais bientôt une force plus grande encore s’accumula sur la tête de ses descendans, après que les Héraclides eurent tué dans l’Attique Eurysthée. Atrée, son oncle maternel, fuyait son père à cause de la mort de Chrysippe. Eurysthée, partant pour une expédition, lui avait confié, à titre de parent, la ville de Mycènes et sa domination.

Comme il ne revenait pas, Atrée, ayant pour lui l’aveu des Mycéniens, qui redoutaient les Héraclides, en imposant d’ailleurs par sa puissance, et habile à flatter la multitude, s’empara de la souveraineté de Mycènes et de tout ce qui avait été soumis à Eurysthée. Les Pélopides dès-lors furent plus puissans que les descendans de Persée. Agamemnon ne tarda pas à recueillir cet immense héritage ; et comme il l’emportait sur les autres par sa marine, il parvint, moins par amour que par crainte, à rassembler des troupes, et à décider l’expédition. On voit qu’en partant c’était lui qui possédait le plus de vaisseaux, et qu’il en fournit encore aux Arcadiens : c’est ce que nous apprend Homère, si l’on en veut croire son témoignage. Ce poète, en parlant du sceptre qui passa dans les mains d’Agamemnon, dit que ce prince régnait sur un grand nombre d’îles, et sur tout Argos. Habitant du continent, s’il n’avait pas eu de marine, il n’eût pas dominé hors des îles voisines, qui ne pouvaient être en grand nombre. C’est par cette expédition de Troie qu’on peut se faire une idée de celles qui avaient précédé.

Chap. 10. De ce que Mycènes avait peu d’étendue, ou de ce que des villes qui subsistaient alors, aucune aujourd’hui ne paraît considérable, on aurait tort d’en conclure, comme d’un indice certain, que la flotte des Hellènes n’a pas été aussi imposante que l’ont dit les poètes, et que le porte la tradition. Car si Sparte était dévastée, et qu’il ne restât que ses hiérons et les fondemens de leur ancienne magnificence, je crois qu’après un long temps, la postérité, comparant ces vestiges avec la gloire de cette république, ajouterait peu de foi à sa puissance. Et cependant sur cinq parties du Péloponnèse, elle en possède deux ; elle commande au reste, et compte au dehors un grand nombre d’alliés. Mais comme la cité n’est pas composée de bâtimens contigus ; comme elle n’a de magnificence ni dans les hiérons ni dans le reste, et que, suivant l’ancien usage de l’Hellade, la population y est distribuée par bourgades, elle paraîtrait bien au-dessous de ce qu’elle est. Si de même Athènes éprouvait le même sort, à l’inspection de ses ruines, on se figurerait sa puissance double de ce qu’elle est en effet. Le doute est donc déplacé ; c’est moins l’ap-