Page:London - Croc-Blanc, 1923.djvu/117

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manger lui aussi. Devenu plus fort, c’est lui qui avait souhaité manger le faucon. Il avait mangé le petit du lynx et la mère-lynx l’aurait mangé, si elle n’avait pas été elle-même tuée et mangée. À cette loi participaient tous les êtres vivants. La viande dont il se nourrissait, et qui lui était nécessaire pour exister, courait devant lui sur le sol, volait dans les airs, grimpait aux arbres ou se cachait dans la terre. Il fallait se battre avec elle pour la conquérir et, s’il tournait le dos, c’était elle qui courait après lui. Chasseurs et chassés, mangeurs et mangés, chaos de gloutonnerie, sans merci et sans fin, ainsi le louveteau n’eût-il pas manqué de définir le monde, s’il eût été tant soit peu philosophe, à la manière des hommes[1].

Mais la vie et son élan avaient aussi leurs charmes. Développer et faire jouer ses muscles constituait pour le louveteau un plaisir sans fin. Courir sus après une proie était une source d’émotions et de frémissements délicieux. Rage et bataille donnaient de la joie. La terreur même et le mystère de l’Inconnu avaient leur attirance.

Puis toute peine portait en elle sa rémunération,

  1. Victor Hugo a écrit :
    « La vie est une joie où le meurtre fourmille
    Et la création se dévore en famille…
    L’onagre est au boa qui glisse et l’enveloppe.
    Le lynx tacheté saute et saisit l’antilope…
    La louve est sur l’agneau, comme l’agneau sur l’herbe…
    Le colibri, sitôt qu’il a faim devient tigre…
    De toutes parts on broute, on veut vivre, on dévore.
    L’ours dans la neige horrible et l’oiseau dans l’aurore.
    C’est l’ivresse et la loi. »

    [La Légende des Siècles, nouvelle série, tome II.] (Note des Traducteurs.)