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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

pas à toutes ces frivolités ; mais vous fixeriez plutôt votre attention sur ceci : « Anytus et Mélitus peuvent me tuer ; ils ne peuvent me nuire ; » et sur ceci encore : « Je suis de nature à ne m’attacher qu’à une seule chose en moi, à la raison qui, bien considérée, me paraît la meilleure. » Aussi, quelqu’un a-t-il jamais entendu dire à Socrate : « Je sais et j’enseigne ? » ou : « Viens m’entendre parler aujourd’hui dans la maison de Codratus ? » Eh ! pourquoi irais-je t’entendre ? Veux-tu me montrer que tu sais disposer les mots élégamment ? Tu sais les disposer, ô homme ! Mais quel bien cela te fait-il ? – Applaudis-moi. — Qu’entends-tu par t’applaudir ? — Dis-moi : « Ah ! » et « C’est merveilleux ! » — Eh bien ! je le dis. Mais, si les applaudissements doivent porter sur quelque chose que les philosophes placent dans la catégorie du bien, qu’est-ce que j’ai à applaudir en toi ? Si c’est une bonne chose que de bien parler, prouve-le-moi, et je t’applaudirai.

Quoi donc ! serait-ce qu’il doit m’être désagréable d’entendre bien parler ? A Dieu ne plaise ! Il ne m’est pas désagréable non plus d’entendre jouer de la lyre ; mais est-ce une raison pour que je doive me tenir là debout à jouer de la lyre ? Écoute ce que dit Socrate : « Hommes, il ne convient pas à mon âge de me présenter devant vous en arrangeant mes discours, comme le fait un jeune homme... »

Est-ce que le philosophe prie les gens de venir l’entendre ? Est-ce que, par le seul fait de son existence, il n’attire pas à lui, comme le soleil, comme la nourriture, ceux à qui il doit être utile ? Quel est le médecin qui prie les gens de se faire soigner par lui ? J’entends dire, il est vrai, qu’aujourd’hui à Rome les médecins prient les malades de venir à eux ; mais, de mon temps, c’étaient eux qu’on priait.

« Je t’en prie, viens apprendre que tu n’es pas en bon état, que tu t’occupes de toute autre chose que ce dont tu dois t’occuper, que tu te trompes sur les biens et sur les maux, que tu es malheureux, que tu es infortuné. » La charmante prière ! Et cependant, si la parole du philosophe n’a pas réellement ces effets, elle n’est qu’une parole morte, et c’est un mort qui parle.

Rufus avait l’habitude de dire : « S’il vous reste assez de liberté d’esprit pour m’applaudir, c’est que je ne dis rien