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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

Pour le plaisir de donner de l’argent aux fermiers du vingtième ? Non, mais parce qu’il s’imagine que c’est faute d’avoir obtenu cet affranchissement qu’il n’est ni libre ni heureux. « Que l’on m’affranchisse, dit-il, et à l’instant mon bonheur est complet : je n’ai plus à faire ma cour à personne, je parle à qui que ce soit comme son égal et son semblable, je vais où je veux, je pars d’où je veux et pour où je veux. » On l’affranchit : aussitôt, n’ayant plus où manger, il cherche quelqu’un à flatter, quelqu’un chez qui dîner. Il fait argent de son corps, et se prête aux dernières infamies. Qu’il trouve un râtelier, et le voilà retombé dans une servitude bien plus dure que la première. Il souffre, il pleure, et il regrette son temps d’esclavage. « Quel mal y avais-je ? dit-il. C’était un autre qui m’habillait, qui me chaussait, qui me nourrissait, qui me soignait quand j’étais malade ; et mon service chez lui était bien peu de chose. Mais aujourd’hui, hélas, que de misères ! Que de maîtres j’ai au lieu d’un seul ! » Et il ajoute : « Si pourtant j’obtenais les anneaux, quelle vie facile et heureuse j’aurais alors ! » Et, pour les obtenir, il commence par endurer mille choses dont il est digne ; puis, quand il les a obtenus, il en endure encore de pareilles. Puis il se dit : « Si je faisais campagne, je couperais court à toutes mes misères. » Il fait campagne ; il souffre comme un vaurien ; et il n’en demande pas moins une seconde et une troisième fois à faire campagne. Puis, quand il a mis le comble à son élévation, quand il est devenu sénateur, qu’est-il alors ? Un esclave qui se rend aux séances. Ses chaînes sont plus belles ; elles sont les plus brillantes de toutes ; mais ce sont des chaînes.

Qu’il cesse de n’être qu’un sot. Qu’il apprenne, comme le disait Socrate, la nature vraie de chaque chose ; et qu’il n’applique pas sans réflexion ses notions premières aux objets particuliers. Il n’y a jamais d’opposition entre les notions premières des uns ou des autres. Les oppositions ne commencent que quand on en vient aux applications. Par exemple, quel est le mal que l’on doit éviter ? On dit : « c’est de ne pas être l’ami de César. » C’en est fait ; on est à côté de l’application vraie ; on est aux abois ; on va chercher des choses sans rapport avec la question ; car on aura beau obtenir l’amitié de César, on n’aura pas obtenu pour cela ce