Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette loi, que la quantité des moyens de circulation est déterminée par la somme des prix des marchandises circulantes et par la vitesse moyenne du cours de la monnaie[1], revient à ceci : étant donné et la somme de valeur des marchandises et la vitesse moyenne de leurs métamorphoses, la quantité du métal précieux en circulation dépend de sa propre valeur. L’illusion d’après laquelle les prix des marchandises sont au contraire déterminés par la masse des moyens de circulation et cette masse par l’abondance des métaux précieux dans un pays[2], repose originellement sur l’hypothèse absurde que les marchandises et l’argent entrent dans la circulation, les unes sans prix, l’autre sans valeur, et qu’une partie aliquote du tas des marchandises s’y échange ensuite contre la même partie aliquote de la montagne de métal[3].

C. Le numéraire ou les espèces. — Le signe de valeur

Le numéraire tire son origine de la fonction que la monnaie remplit comme instrument de circulation. Les poids d’or, par exemple, exprimés selon l’étalon officiel dans les prix où les noms monétaires des marchandises, doivent leur faire face sur le marché comme espèces d’or de la même dénomination ou comme numéraire. De même que l’établissement de l’étalon des prix, le monnayage est une besogne qui incombe à l’État. Les divers uniformes nationaux que l’or et l’argent revêtent, en tant que numéraire, mais dont ils se dépouillent sur le marché du monde, marquent bien la séparation entre les sphères intérieures ou nationales et la sphère générale de la circulation des marchandises.

L’or monnayé et l’or en barre ne se distinguent de prime abord que par la figure, et l’or peut toujours passer d’une de ces formes à l’autre[4].

  1. « Il y a une certaine mesure et une certaine proportion de monnaie nécessaire pour faire marcher le commerce d’une nation, au-dessus ou au-dessous desquelles ce commerce éprouverait un préjudice. Il faut de même une certaine proportion de farthings (liards) dans un petit commerce de détail pour échanger la monnaie d’argent et surtout pour les comptes qui ne pourraient être réglés complètement avec les plus petites pièces d’argent… De même que la proportion du nombre de farthings exigée par le commerce doit être calculée d’après le nombre des marchands, la fréquence de leurs échanges, et surtout d’après la valeur des plus petites pièces de monnaie d’argent ; de même la proportion de monnaie (argent ou or) requise par notre commerce doit être calculée sur le nombre des échanges et la grosseur des payements à effectuer. » (William Petty, A Treatise on Taxes and Contributions, London, 1667, p. 17.)

    La théorie de Hume, d’après laquelle « les prix dépendent de l’abondance de l’argent », fut défendue contre Sir James Steuart et d’autres par A. Young, dans sa Political Arithmetic, London, 1774, p. 112 et suiv. Dans mon livre : Zur Kritik, etc., p. 183, j’ai dit qu’Adam Smith passa sous silence cette question de la quantité de la monnaie courante. Cela n’est vrai cependant qu’autant qu’il traite la question de l’argent ex professo. À l’occasion, par exemple dans sa critique des systèmes antérieurs d’économie politique, il s’exprime correctement à ce sujet : « La quantité de monnaie dans chaque pays est réglée par la valeur des marchandises qu’il doit faire circuler… La valeur des articles achetés et vendus annuellement dans un pays requiert une certaine quantité de monnaie pour les faire circuler et les distribuer à leurs consommateurs et ne peut en employer davantage. Le canal de la circulation attire nécessairement une somme suffisante pour le remplir et n’admet jamais rien de plus. »

    Adam Smith commence de même son ouvrage, ex professo, par une apothéose de la division du travail. Plus tard, dans le dernier livre sur les sources du revenu de l’Etat, il reproduit les observations de A. Ferguson, son maître, contre la division du travail. (Wealth of Nations, l. IV, c. 1.)

  2. « Les prix des choses s’élèvent dans chaque pays à mesure que l’or et l’argent augmentent dans la population ; si donc l’or et l’argent diminuent dans un pays, les prix de toutes choses baisseront proportionnellement à cette diminution de monnaie. » (Jacob Vanderlint, Money answers all things, London, 1734, p. 5.) — Une comparaison plus attentive de l’écrit de Vanderlint et de l’essai de Hume ne me laisse pas le moindre doute que ce dernier connaissait l’œuvre de son prédécesseur et en tirait parti. On trouve aussi chez Barbon et beaucoup d’autres écrivains avant lui cette opinion que la masse des moyens de circulation détermine les prix. « Aucun inconvénient, dit-il, ne peut provenir de la liberté absolue du commerce, mais au contraire un grand avantage… puisque si l’argent comptant d’une nation en éprouve une diminution, ce que les prohibitions sont chargées de prévenir, les autres nations qui acquièrent l’argent verront certainement les prix de toutes choses s’élever chez elles, à mesure que la monnaie y augmente et nos manufactures parviendront à livrer à assez bas prix, pour faire incliner la balance du commerce en notre faveur et faire revenir ainsi la monnaie chez nous (l. c., p. 44).
  3. Il est évident que chaque espèce de marchandise forme, par son prix, un élément du prix total de toutes les marchandises en circulation. Mais il est impossible de comprendre comment un tas de valeurs d’usage incommensurables entre elles peut s’échanger contre la masse d’or ou d’argent qui se trouve dans un pays. Si l’on réduisait l’ensemble des marchandises à une marchandise générale unique, dont chaque marchandise ne formerait qu’une partie aliquote, on obtiendrait cette équation absurde : Marchandise générale = x quintaux d’or, marchandise A = partie aliquote de la marchandise générale = même partie aliquote de x quintaux d’or. Ceci est très naïvement exprimé par Montesquieu : « Si l’on compare la masse de l’or et de l’argent qui est dans le monde, avec la somme des marchandises qui y sont, il est certain que chaque denrée ou marchandise, en particulier, pourra être comparée à une certaine portion de l’autre. Supposons qu’il n’y ait qu’une seule denrée ou marchandise dans le monde, ou qu’il n’y en ait qu’une seule qui s’achète, et qu’elle se divise comme l’argent ; une partie de cette marchandise répondra à une partie de la masse d’argent ; la moitié du total de l’une à la moitié du total de l’autre, etc. L’établissement du prix des choses dépend toujours fondamentalement de la raison du total des choses au total des signes. » (Montesquieu, l. c., t. III, p. 12, 13.) Pour les développements donnés à cette théorie par Ricardo, par son disciple James Mill, Lord Overstone, etc., V. mon écrit : Zur Kritik, etc., p. 140-146 et p. 150 et suiv. M. J. St. Mill, avec la logique éclectique qu’il manie si bien, s’arrange de façon à être tout à la fois de l’opinion de son père James Mill et de l’opinion opposée. Si l’on compare le texte de son traité : Principes d’économie politique, avec la préface de la première édition dans laquelle il se présente lui-même comme l’Adam Smith de notre époque, on ne sait quoi le plus admirer, de la naïveté de l’homme ou de celle du public qui l’a pris, en effet, pour un Adam Smith, bien qu’il ressemble à ce dernier comme le général Williams de Kars au duc de Wellington. Les recherches originales, d’ailleurs peu étendues et peu profondes de M. J. Si. Mill dans le domaine de l’économie politique, se trouvent toutes rangées en bataille dans son petit écrit paru en 1844, sous le titre : Some unsettled questions of political economy. — Quant à Locke, il exprime tout crûment la liaison entre sa théorie de la non valeur des métaux précieux et la détermination de leur valeur par leur seule quantité. « L’humanité ayant consenti à accorder à l’or et à l’argent une valeur imaginaire… la valeur intrinsèque considérée dans ces métaux n’est rien autre chose que quantité. » (Locke, « Some Considerations, etc. », 1691. Ed. de 1777, vol. 11, p. 15.)
  4. Je n’ai pas à m’occuper ici du droit de seigneuriage et d’autres détails de ce genre. Je mentionnerai cependant à l’adresse du sycophante Adam Muller, qui admire « la grandiose libéralité avec laquelle le gouvernement anglais monnaye gratuitement », le jugement suivant de Sir Dudley North : « L’or et l’argent, comme les autres marchandises, ont leur