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L’INFLUENCE DE PAUL GAUGUIN[1]

Gauguin mort, — et après l’étude si documentée de Séguin publiée à l’Occident[2], — il convient d’examiner son influence sur les artistes de son temps, plutôt que son œuvre à lui, laquelle sera prochainement, nous le souhaitons, réunie en une exposition complète, où il sera loisible d’en considérer l’importance, d’en célébrer la beauté.

Les plus audacieux parmi les jeunes artistes, qui fréquentaient aux environs de 1888 l’Académie Julian, ignoraient à peu près complètement le grand mouvement d’art qui sous le nom d’impressionnisme venait de révolutionner l’art de peindre. Ils en étaient à Roll, à Dagnan ; ils admiraient Bastien Lepage ; ils parlaient de Puvis avec une indifférence respectueuse, se méfiant, en conscience, qu’il ne sût pas dessiner. Grâce à Paul Sérusier, alors massier des petits ateliers du Faubourg Saint-Denis, — fonctions qu’il remplissait avec une éclatante fantaisie — le milieu était, à coup sûr, beaucoup plus cultivé que dans la plupart des académies : on y parlait habituellement de Péladan et de Wagner, des concerts Lamoureux et de la littérature décadente, que d’ailleurs nous connaissions mal : un élève de Ledrain nous initiait aux littératures sémitiques, et Sérusier exposait les doctrines de Plotin et de l’école d’Alexandrie au jeune Maurice Denis qui préparait là l’examen de philosophie du Baccalauréat ès lettres.

C’est à la rentrée de 1888 que le nom de Gauguin nous fut révélé par Sérusier, retour de Pont-Aven, qui nous exhiba, non sans mystère, un couvercle de boite à cigares sur quoi on distinguait un paysage informe, à force d’être

  1. L’Occident, octobre 1903.
  2. L’Occident, mars, avril et mai 1903.