Page:Meillet - Esquisse d'une grammaire comparée de l'arménien classique (1936).djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134

102.b) Verbes dont le présent et l’aoriste appartiennent à des racines différentes.

Dans l’expression de certaines notions courantes, on recourait souvent à des racines différentes pour former les divers thèmes qui indiquent les nuances grammaticales ; ainsi le présent du verbe « aller » est en attique ἔρχομαι (erchomai), le futur εἶμι (eimi), l’aoriste ἦλθον le parfait ἐλήλυθα (elêlutha) ; le présent de « voir » est ὁρῶ (horô), le futur ὄψομαι (opsomai), l’aoriste εἶδον (eidon), etc. L’arménien, qui a un verbe à deux thèmes seulement, ne peut présenter l’opposition de plus de deux racines différentes, et c’est en effet ce qui arrive pour plusieurs des notions qui présentent dans les autres langues cette particularité :

utem ուտեմ « je mange » a la même racine que skr. ádmi, lat. edō, gr. ἔδομαι (edomai) ; le u- ու– suppose un ancien ō que le grec présente dans le substantif à redoublement ἐδωδή (edôdê) « nourriture ». Comme le baltique et le slave ont, au présent de cette racine, un ē : lit. ėdmi, v. sl. ěmǐ « je mange », le ut- arménien repose sur *ōd-, avec le degré ō du vocalisme. — À l’aoriste, le sanskrit et le grec ont des racines autres que *ed- : skr. ághaḥ « il a mangé » et gr. ἔφαγε (ephage) ; l’arménien a keray կերայ « j’ai mangé », cf. skr. giráti « il avale », v. sl. zǐretǔ (même sens), lat. uorō, etc. La 3me personne d’aoriste et l’impératif ont une forme active inattendue en regard de keray կերայ : eker եկեր «  il a mangé », ker կեր « mange » ; le subjonctif est kerayç կերայց, keriçes կերիցես, etc.

əmpem ըմպեմ « je bois », présent d’origine obscure, mais difficile à séparer de skr. píbati « il boit », lat. bibō, v. irl. ibim « je bois » ; aoriste arbi արբի « j’ai bu », cf. lat. sorbeō, lit. srebiù, surbiù « j’avale en humant, je suce », gr. ῥοφέω (rhopheô).

gam գամ « je viens », cf. la racine *wā-, élargie par -dh- dans lat. uādō, et dans v. angl. wadan, v. h. a. watan « aller (par eau) ». — L’aoriste eki եկի « je suis venu » est inséparable de skr. ágām et de dorien ἔβᾱν (ebān), attique ἔβην (ebên) ; l’augment s’y est maintenu, de manière à éviter le monosyllabisme, comme dans etu ետու « j’ai donné » et edi եդի « j’ai posé » ; il y a trace de ā de la racine (*gnā-) dans l’impératif ekayk‘ եկայք « venez » ; la 3me personne ekn եկն « il est venu » appartient à une racine voisine mais différente, qui comprend une nasale (*gwen-, *gwem), cf. véd. ágan « il est venu », got.