Page:Melegari - Le Livre de l'espérance, 1916.djvu/152

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éclater en pleurs. Je les croyais arrachés à une sincère indignation contre la veulerie générale, mais elle avoua que son plus grand plaisir ayant été jusqu’ici de dire et d’entendre dire du mal de son prochain, elle était désolée des prudences actuelles. « Chacun a peur de sa propre voix, disait-elle plaintivement ; on se glisse bien encore à l’oreille des mots méchants que l’on entend mal, mais ces savoureuses médisances qui faisaient se rapprocher les fauteuils, elles ne ressusciteront plus ! La peur ferme la bouche de tous les gens bien élevés ; pour les retrouver il faudrait se déclasser… »

Dans sa sottise elle avait raison. La crainte de représailles ou de vengeances secrètes hantait les cerveaux du XXe siècle et l’on s’abaissait jusqu’à choyer et caresser ce qu’on méprisait, pour ne pas se créer d’ennemis. Non, hélas, qu’une indulgence universelle eût remplacé dans les cœurs les anciens antagonismes ; jamais on ne s’était moins aimé ! L’épouvante seule des délations clouait les lèvres.