Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/18

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père l’amour des lettres. Mrs Preston loua sans hésiter les vers du jeune homme, et son fils estimait qu’elle fut le premier cri tique à qui les œuvres de jeunesse de Poe furent soumises. L’écolier s’était fait une réputation par ses exploits de nageur, dont certains étaient fort audacieux, et même dangereux. Un autre de ses condisciples, le colonel Mayo, le décrit comme un garçon élégant, impétueux, hardi, provocateur même, mais richement doué au point de vue mental ; il relate une aventure hasardeuse qui leur advint :

Un jour, au cœur de l’hiver, se trouvant sur les bords de la James River, Poe défia son compagnon de sauter dans l’eau, et de nager avec lui jusqu’à un certain endroit. Après s’être débattus quelque temps dans la rivière à demi gelée, ils parvinrent aux piles sur lesquelles reposait alors le pont de Mayo. Là, ils furent heureux de pouvoir s’arrêter et essayèrent de regagner la rive par le pont en escaladant les poutres de la culée. Mais à leur consternation, ils constatèrent que le tablier du pont surplombait de plusieurs pieds la culée et que toute escalade par ce moyen était impossible. Il ne leur restait qu’à redescendre et à gagner à la nage leur point de départ. Quand Poe atteignit la rive, il était à bout de forces, tandis qu’un batelier secourable repêchait Mayo au moment où il allait succomber et disparaître. Les deux garçons furent malades pendant plusieurs semaines à la suite de cette équipée.

Dans la maison qui faisait face à celle des Allan, habitaient les parents d’Elmira Royster. Le fils adoptif des premiers connut bientôt la fille des seconds et s’en énamoura. Elmira partageait les sentiments du « beau jeune homme », selon le terme qu’elle employa en me parlant de lui. Elle le jugeait quelque peu silencieux et mélancolique, dans ses manières, comme il convenait à un ardent admirateur de Byron, mais quand on le décidait à parler, sa conversation était aussi intéressante qu’on pouvait le désirer. La jeune fille, qui n’était âgée que de quinze ans, estimait Edgar « très généreux, très chaleureux de cœur et plein de zèle pour les causes qui le captivaient. Il était « enthousiaste et impulsif » et détestait tout ce qui présentait le moindre manque de raffinement. Il appréciait passionnément la musique, « art que, par la suite, il ne cessa d’aimer », et il était un dessinateur accompli, capable même d’esquisser en quelques minutes un portrait de Miss Royster.