Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/90

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MRRCVRE DK FRANCE— 161-1909 préjugés, qui étaient aussi les siens. Quand elle lui parlait maintenant de son ami Fouilloux, il affectait, à son sujet, une certaine froideur polie, qui rétonnait d’autant plus qu’elle se souvenait de leur ancienne amitié. Sa sœur, peu à peu, l’abandonnait aussi. — Console-toi,lui disait-elle. Notre famille a des traditions. Elle ne veut pas de mésalliance; cela est respectable. Et M,lfl Lucile de La Musardière se disait que, peut-être bien, Fouilloux, loin de Vince, se désintéresserait aussi d’elle. M. de Larmance venait faire régulièrement sa cour.Chaque fois, un bouquet le précédait. Il arrivait à chcval, les mous­ taches plus cirées et plus noires qu’autrefois, dînait au château, et repartait assez tard dans la soirée. Quelquefois, aussi, il venait en voiture, et faisait piaffer sa bête, devant la grille, avant de l’arrêter. Mmede La Musardière ne quittait pas les fiancés. M . l’abbé Picquenet en était édifié. Il en regrettait presque sa démarche auprès de Monseigneur. Elle paraissait, d ’ailleurs, ne pas aboutir; depuis plus d’un mois, il en attendait le résultat. L’abbé, maintenant, souhaitait que Monseigneur oubliât. Les de La Musardière, constatait-il, savent redevenir, dans les grandes circonstances, ce que, selon lui, ils n’auraient jamais dû cesser d’être. C ’était, pensait-il, consolant, au moins pour la religion. Une fois, M,,eLucile de La Musardière,par une fin de jour­ née trop chaude qui l’avait laissée lasse et énervée, se sentit envahir par un sentiment d’attendrissement profond sur elle- même. Des souvenirs de son passé lui revinrent ; elle se revit première communiante à l’église de Beauséjour. Ce jour-là, Mgr Saint-EIoy avait dîné au château. Tous ces souvenirs du temps où elle était une pieuse petite fille s’agitèrent dans sa mémoire, puis une profonde tristesse l’accabla, avec le dégoût de ce qu’elle devenait, après ce qu’elle avait été. Elle descendit à la chapelle dans un état de grande ferveur. M. l’abbé Picquenet s’y trouvait. Il lui demanda de ses nou­ velles. Elle lui répondit qu’elle était très malheureuse. L’atmosphère de la chapelle était douce; il y flottait une odeur de roses et d’encens. Un demi-jour y régnait, dans lequel brûlait la lampe solitaire de l’autel. M . l’abbé Picquenet