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introduction

offre de l’argent au roi pour obtenir un évêché ; à l’époque féodale, le roi ou les seigneurs donnent au plus offrant les riches héritières, filles ou veuves, qui tiennent d’eux un fief ; on arrête à volonté par des présents le cours de la justice. Le fait caractéristique est que ces transactions, à part celles qui concernent les dignités ecclésiastiques, sont considérées comme légitimes. On a la conscience très large quant aux moyens de se procurer de l’argent. On n’est pas déshonoré, au moins dans certains cas, pour avoir recours au vol.

Il fallait bien, du reste, qu’on fût peu scrupuleux : au xie et au xiie siècle on voit les grands rivaliser de luxe et de prodigalités, s’épuiser à entretenir des suites de plus en plus nombreuses. Leurs revenus, du reste très mal administrés, ne pouvant suffire à ces dépenses croissantes, il était nécessaire — à une époque où il n’était pas encore facile de s’endetter, faute de prêteurs[1] — de multiplier les ressources extraordinaires. La cupidité des Latins est, avec leur insupportable loquacité, ce qui frappa tout d’abord les Byzantins lorsqu’ils se trouvèrent en rapport avec les croisés[2]. Ici il est à remarquer que les reproches contre la convoitise et l’avarice des seigneurs abondent chez nos anciens poètes, mais il faut considérer quelle est la tendance de ces reproches. Trouvères et troubadours blâment les seigneurs, non pas de la façon dont ils se procurent des richesses, mais du peu

  1. Il est question, dans le poème, de gens qui ont emprunté — naturellement sur nantissement — mais seulement dans la dernière partie (§ 633).
  2. « Ἔστι μὲυ γὰρ τὸ τῶν Λατίνων γένος φιλοχρηματώτατον. » Anne Comnène, l. X, chap. vi ; cf. l. VI, chap. vi, éd. du Louvre pp. 163, 286, et voir les textes cités par Du Cange dans son commentaire sur le passage de la p. 163.