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COMME JADIS…

quer la nature de cette crainte qui m’aurait fait vous écrire de ne pas venir, si j’avais cédé à mon premier sentiment ?

Je vous l’ai dit, Gérard, mon père, après qu’il se fût dégagé de l’engourdissement de son chagrin, agit en patriote. Or, le patriotisme, comme nous l’entendons chez nous, ne comporte aucune idée belliqueuse ; il est la lutte incessante pour garder le patrimoine : religion, langue ; lutte pacifique, réclamant la vision de l’avenir, le courage des responsabilités. Mon père, en plaçant Lavernes sur la carte d’Alberta, en installant cinquante familles canadiennes, en préparant la place de cent autres, a fait œuvre de patriote. Les seize enfants des Labbé, les douze des Trudel, voilà encore du patriotisme. Mlle Saint-Jean, à l’école du district, c’est une patriote. L’œuvre de Valiquette que vous dédaignez à tort, c’est encore du patriotisme. Je vous citerais dix autres exemples du même genre, où vous ne trouveriez pas plus trace d’héroïsme à grand effet. Ce sont les héros de cette espèce cependant qui, sous l’inspiration et la conduite de notre clergé, ont assuré la survivance française au Canada.

Chez vous, on ne semble pas comprendre ce patriotisme, ou, plus exactement, les écrivains qui nous sont venus de France pour étudier nos conditions de vie, dégager nos aspirations, ont rarement su pénétrer l’âme canadienne. Votre ami a