Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/266

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était porté sur les épaules et couronné de lauriers, c’était Élie, toutes les dépouilles et les prisonniers autour. En tête, parmi ce fracas où l’on n’aurait pas entendu la foudre, marchait un jeune homme recueilli et plein de religion ; il portait suspendue et percée de sa baïonnette une chose impie, trois fois maudite, le règlement de la Bastille.

Les clés aussi étaient portées, ces clés monstrueuses, ignobles, grossières, usées par les siècles et par les douleurs des hommes. Le hasard ou la Providence voulut qu’elles fussent remises à un homme qui ne les connaissait que trop, à un ancien prisonnier. L’Assemblée nationale les plaça dans ses archives, la vieille machine des tyrans à côté des lois qui ont brisé les tyrans. Nous les tenons encore aujourd’hui, ces clés, dans l’armoire de fer des archives de la France… Ah ! puissent, dans l’armoire de fer, venir s’enfermer les clés de toutes les bastilles du monde !

La Bastille ne fut pas prise, il faut le dire, elle se livra. Sa mauvaise conscience la troubla, la rendit folle et lui fit perdre l’esprit.

Les uns voulaient qu’on se rendît, les autres tiraient, surtout les Suisses, qui, cinq heures durant, sans péril, n’ayant nulle chance d’être atteints, désignèrent, visèrent à leur aise, abattirent qui ils voulaient. Ils tuèrent quatre-vingt-trois hommes, en blessèrent quatre-vingt-huit. Vingt des morts étaient de pauvres pères de famille qui laissaient des femmes, des enfants pour mourir de faim.