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l’utilitarisme

amènent une coutume ou une institution à passer du rang de nécessité première dans l’existence sociale, à celui d’injustice universellement condamnée. Cela s’est passé ainsi pour les distinctions entre les esclaves et les hommes libres, les nobles et les serfs, les praticiens et les plébéiens ; c’est ainsi que cela se passe maintenant pour les aristocraties de couleur, de race, de sexe.

Il semble donc, d’après ce qu’on vient de voir, que la justice est un nom désignant certaines nécessités morales qui, considérées dans leur ensemble, occupent un rang plus élevé dans l’échelle de l’utilité sociale, et sont d’une obligation supérieure à celle des autres nécessités morales. Cependant, dans des cas particuliers, ces autres devoirs sociaux peuvent devenir si importants qu’ils doivent passer avant toutes les autres maximes générales de la morale. Ainsi pour sauver la vie d’un homme, non seulement on peut, mais on doit voler, prendre par force la nourriture ou les médicaments nécessaires, et forcer un médecin à exercer sa profession. Dans de tels cas, comme nous n’appelons justice que ce qui est vertu, nous disons habituellement, non pas que la justice doit céder la place à quelque autre principe moral, mais que ce qui est juste dans un cas ordinaire, en raison de cet autre