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ANTHOLOGIE DES POÈTES DE MONTMARTRE

habits, mais, gentilhomme quand même, Floux se réserva un a complet de soirée » pour la seule raison que « ça lui allait très bien » et que « ça lui ouvrait les portes derrière lesquelles on l’invitait quelquefois à dîner ». Mais, hélas ! le frac finit par s’élimer, les bottines vernies par ressembler vaguement à la gueule d’un caïman, et le doux poète, dénué de tout, n’ayant plus même de domicile, en fut réduit à loger dans un coupé.

Ceci, quoiqu’invraisemblable, est rigoureusement vrai. Un jour que Jean Floux — nous devons tous ces détails à son ami Laumann — avait l’estomac au-dessous des talons et les ailes mouillées jusqu’aux os, il s’en alla chercher un refuge auprès d’un ami. L’ami était riche, mais il avait une femme et celle-ci n’aimait les poètes qu’à la condition qu’ils fussent mis à la dernière mode, eussent du linge frais et portassent des bagues. L’ami avait un cœur ; il fit ce qu’il pouvait, en donnant à Jean Floux une clé qui ouvrait une remise. Il y avait un coupé dans cette remise et c’est dans ce coupé que notre poète s’installa pour « les nuits ». Un faux-col et des manchettes dans ses poches, ses bottes rafistolées tant bien que mal avec des ficelles, il arrivait furtivement, se glissait dans l’ombre, dérobait une couverture au cheval et s’endormait. À six heures du matin, il partait, toujours en son habit de gala, en quête de rimes et à la recherche plus problématique de la pitance quotidienne.

Cette vie, ou plutôt cette agonie latente, avait fini par altérer quelque peu sa gaîté, mais le mal n’était qu’à fleur de peau, il suffisait d’un rayon de soleil pour le dissiper. Le soleil brilla.

Un sien oncle, jusqu’alors irréductible, mourut, lui léguant toute sa fortune, cent cinquante mille francs environ. Jean Floux emprunta, lui qui n’empruntait jamais, une centaine de francs pour s’habiller décemment et prendre le train afin de joindre le tabellion, détenteur de joie et d’or véridique. C’était en janvier, par un