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RAOUL PONCHON

FAITES-MOI PARLER SUR LE GIGOT


Quand le gigot paraît au milieu de la table,
Fleurant l’ail et couché sur un lit respectable
De joyeux haricots,
On se sent beaucoup mieux, un charme vous pénètre ;
Tout un chacun voyant son appétit renaître
Aiguise ses chicots.

Il avait bien mangé mille riens d’œuvre et autres…
Mais quel sera le rôt ? Songeait le bon apôtre
De convive anxieux.
Bravo ! c’est un gigot. Oui, voici qu’un esclave
Vient d’entrer, sur ses bras portant, robuste et grave,
Ce fardeau précieux.

Alors, l’amphitryon, le père de famille,
Se demande, tandis que son œil le fusille :
Sera-t-il cuit à point ?
Il l’est, n’en doutez pas. Et chacun le proclame,
Dès qu’il a vu plonger une invincible lame
En son doré pourpoint.

Son sang, de tous côtés, ruisselle en filets roses ;
Sa chair est admirable et ferait honte aux roses.
Le plus récalcitrant
Des convives, muet tout à l’heure et morose,
S’épanouit bientôt, débite mainte prose,
Devient presque encombrant.