Page:Molière - Œuvres complètes, CL, 1888, tome 03.djvu/355

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Vous moquez-vous des gens d’avoir fait ce complot ? Votre fille n’est point l’affaire d’un bigot : Il a d’autres emplois auxquels il faut qu’il pense. Et puis, que vous apporte une telle alliance ? À quel sujet aller, avec tout votre bien, Choisir un gendre gueux ?…

ORGON.

Choisir un gendre gueux ?…Taisez-vous ! S’il n’a rien,
Sachez que c’est par là qu’il faut qu’on le révère.
Sa misère est sans doute une honnête misère :
Au-dessus des grandeurs elle doit l’élever.
Puisque enfin de son bien il s’est laissé priver
Par son trop peu de soin des choses temporelles
Et sa puissante attache aux choses éternelles.
Mais mon secours pourra lui donner les moyens
De sortir d’embarras et rentrer dans ses biens :
Ce sont fiefs qu’à bon titre au pays on renomme ;
Et, tel que l’on le voit, il est bien gentilhomme.

DORINE.

Oui, c’est lui qui le dit ; et cette Vanité,
Monsieur, ne sied pas bien avec la piété.
Qui d’une sainte vie embrasse l’innocence
Ne doit point tant prôner son nom et sa naissance,
Et l’humble procédé de la dévotion
Souffre mal les éclats de cette ambition.
À quoi bon cet orgueil ?… Mais ce discours vous blesse ?
Parlons de sa personne, et laissons sa noblesse.
Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d’ennui,
D’une fille comme elle un homme comme lui ?
Et ne devez-vous pas songer aux bienséances,
Et de cette union prévoir les conséquences ?
Sachez que d’une fille on risque la vertu
Lorsque dans son hymen son goût est combattu ;
Que le dessein d’y vivre en honnête personne
Dépend des qualités du mari qu’on lui donne,
Et que ceux dont partout on montre au doigt le front,
Font leurs femmes souvent ce qu’on voit qu’elles sont.
Il est bien difficile enfin d’être fidèle
À de certains maris faits d’un certain modèle ;