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CŒUR MAGNANIME

point connaître les cruelles déceptions des terrestres amours… Dieu, dès l’aube de sa jeunesse, s’était emparé de son cœur virginal et la pudique enfant ne le lui reprit jamais.

Elle avait seize ans. Depuis de longs mois elle entendait retentir au fond de son cœur l’irrésistible appel du Maître ; mais elle n’osait révéler à sa tante ses secrets désirs, elle savait qu’elle était l’unique affection de cette tante si chère, il lui en coûtait de la laisser seule en ce monde. Cependant l’appel divin se faisait plus pressant, alors la pieuse enfant obéit.

Un soir, elle entoura de ses bras caressants le cou de celle qui lui avait servi de mère ; calmement elle l’embrassa — c’était sa tactique habituelle, quand elle voulait obtenir gain de cause dans ses petites requêtes — seulement à ce moment son candide visage exprimait une profonde et triste gravité.

Émue, hésitante, sentant tout ce que son aveu allait éveiller de déchirements et de douleurs dans ce cœur qui s’était sacrifié pour elle, elle murmura quelques mots à l’oreille qui se penchait affectueusement pour l’écouter.

Soudain Mademoiselle Solier tressaillit. « Oh ! non, non, ce n’est pas possible… — s’écria-t-elle — un tel sacrifice surpasse mon courage… j’ai déjà tant pleuré, tant souffert ! Songe, ma douce petite Carmen, que je n’ai plus que toi… Aie pitié de ma triste solitude ! c’est, pour toi, oui, pour ton bonheur que j’ai accepté de cheminer seule en ce monde et tu voudrais m’abandonner ? Reste auprès de celle qui t’a aimée comme t’aurait aimée ta mère. » Et la pauvre désolée pressait contre son sein l’enfant chérie, comme pour la défendre contre un ravisseur invisible.