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CHARLES MONSELET

L’ordre fut immédiatement exécuté.

On emmena mon grand-père à la prison du Bouffay.

Vous le voyez déjà guillotiné ! Non. Il en fut quitte pour quinze jours de cachot.

N’importe, il ne cessa pendant toute sa vie de se plaindre amèrement et de maugréer contre l’infâme Carrier.

C’est ce Nantes-là, le vieux Nantes, que votre petit livre m’a rappelé, mon cher compatriote ; le Nantes populaire des ponts, du Pilori, de la rue du Petit-Bacchus, du Bois-Tortu, du Pas-Périlleux, de la Casserie ; le Nantes des maisons disparues, de la maison des Enfants-Nantais (Donatien et Rogatien), du Marchaix, de l’Arche-Sèche, de la Tour-de-Sauvetout, des Hauts-Pavés, de Saint-Similien, de la rue Moquechien, du quartier du Roi-Baco : le Nantes plus pittoresque qu’on ne s’en doute, et qui parle journellement encore la langue de votre dictionnaire.

Vous avez fail œuvre pie en recueillant de Barbin à Trenteraoult, de la Ville-en-Bois à Richebourg, du quai Moncousu au Port-Communeau, à la Petite-Hollande el partout, aux Salorges, è la place Bretagne el à la place Viarmes, des Dervalières aux Douves-Saint-Nicolas, en recueillant, dis-je, ces humbles vocables, sans famille, sans étymologie, enfants perdus de la parole et de la tradition, et qui, sans vous, auraienl fini par s’en aller insensiblement au grand égout de l’oubli.

Grâce à vous, et en dépit des splendides maisons neuves dont notre ville natale s’embellit chaque jour, il sera possible de reconstituer l’histoire de Nantes intime, et même d’y ajouter quelques types de la rue, comme ceux des deux sœurs Amadou, par exemple, ces figures excentriques, si connues du peuple, qui pinçaient inconsciemment de la guitare, habillées de toutes sortes de baillons et de rubans prétentieux ramassés au hasard dans le ruisseau, si sympathiques et si respectées même des polissons, ces demoiselles Amadou dont vous avez si bien fait de consacrer les traits bizarres et légendaires.

Merci donc, au nom des Nantais épris de leur berceau, comme ils le sonl presque tous d’ailleurs. J’ajouterai deux mots à vos renseignements si précieux. Ce serait mal me connaître, et ce serait même ne pas me connaître du tout, que de croire que je n’aurai pas une mention pour la nourriture bretonne. Elle a son caractère particulier, je parle surtout de la nourriture plébéienne ; je parle des galettes de blé noir débrassées avec du lait, finement dentelées, bien beurrées ; je parle des caillebottes, blanches et frissonnantes, enfermées dans de