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L
INTRODUCTION


théorie à la pratique ; mais quelles que soient ses critiques, il est imprégné des idées de Montesquieu, et on peut dire sans crainte que l’œuvre du Français a enfanté celle du Napolitain. Quant à Beccaria, il se plaît en toute occasion à avouer Montesquieu pour son maître : Alla leltura dello Spirito delle Leggi, écrit Beccaria à l'abbé Morellet, dehbo gran parle delle mie idee [1]. Beccaria a eu cette rare fortune que les pages éloquentes de son petit livre ont emporté la réforme que Montesquieu avait préparée. On ne sait pas assez ce qu’était au dernier siècle la barbarie des lois criminelles. Qu’on lise les traités de Muyard de Vouglans, ou de Jousse, qu’on parcoure l’ordonnance criminelle de Marie-Thérèse, la grande Reine [2], ordonnance qui cependant était une réforme, on sera épouvanté de cette cruauté qui n’a pas conscience d’elle-même. C’est Louis XVI, c’est la Révolution qui ont chassé de nos lois toutes ces horreurs ; mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est Montesquieu qui le premier apprit à l’Europe à rougir de toutes ces abominations.

En parlant de l’accueil que l'Esprit des lois reçut à l’étranger, du vivant de Montesquieu, il me sera permis d’aller un peu plus loin, et de signaler le singulier hommage qu’on lui rendit en Russie, douze ans après sa mort. On connaît l'Instruction donnée par Catherine II, impératrice et législatrice de toutes les Russies, à la commission établie pour travailler à la rédaction d’un nouveau Code de lois. C’est en 1767 que Catherine, non moins habile que Frédéric II à captiver l’opinion, imagina de se présenter à l’Europe comme l’apôtre de la civilisation et des idées modernes. L'Instruction, publiée en russe et en allemand à l’Imprimerie impériale de Moscou, parut en français à Lausanne, durant l'année 1769. En tête de l’ouvrage, une gravure représente le médaillon de Catherine, accompagné de l’inscription suivante, qui n’a pas été

  1. Sclopis, Recherches, p. 131.
  2. Expression de Montesquieu dans la lettre à Bertolini.