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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Presque par tout le monde, et dans tous les temps, l’opinion de l’immortalité de l’âme, mal prise, a engagé les femmes, les esclaves, les sujets, les amis, à se tuer, pour aller servir dans l’autre monde l’objet de leur respect ou de leur amour. Cela étoit ainsi dans les Indes occidentales ; cela étoit ainsi chez les Danois [1] ; et cela est encore aujourd’hui au Japon [2], à Macassar [3], et dans plusieurs autres endroits de la terre.

Ces coutumes émanent moins directement du dogme de l’immortalité de l’âme, que de celui de la résurrection des corps ; d’où l’on a tiré cette conséquence, qu’après la mort un même individu auroit les mêmes besoins, les mêmes sentiments, les mêmes passions. Dans ce point de vue, le dogme de l’immortalité de l’âme affecte prodigieusement les hommes, parce que l’idée d’un simple changement de demeure est plus à la portée de notre esprit, et flatte plus notre cœur, que l’idée d’une modification nouvelle.

Ce n’est pas assez pour une religion d’établir un dogme ; il faut encore qu’elle le dirige. C’est ce qu’a fait admirablement bien la religion chrétienne à l’égard des dogmes dont nous parlons ; elle nous fait espérer un état que nous croyons, non pas un état que nous sentions ou que nous connoissions ; tout, jusqu’à la résurrection des corps, nous mène à des idées spirituelles.

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    pour sa conservation ; ainsi les disciples de Foë se tuent à milliers. » Ouvrage d'un philosophe chinois, dans le recueil du P. du Halde, tome III, p. 52. (M.) On peut trouver que l’argumentation est forcée ; on en dirait tout autant du christianisme, et avec aussi peu de raison.

  1. Voyez Thomas Bartholin, Antiquités danoises. (M.)
  2. Relation du Japon, dans le Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes. (M.)
  3. Mémoires de Forbin. (M.)
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