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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Il n’y a qu'à ouvrir les lois saliques et ripuaires, pour voir que les Romains ne vivoient pas plus dans la servitude chez les Francs que chez les autres conquérants de la Gaule.

M. le comte de Boulainvilliers [1] a manqué le point capital de son système ; il n’a point prouvé que les Francs aient fait un règlement général qui mit les Romains dans une espèce de servitude.

Comme son ouvrage est écrit sans aucun art, et qu’il y parle avec cette simplicité, cette franchise et cette ingénuité de l’ancienne noblesse dont il étoit sorti [2], tout le monde est capable de juger et des belles choses qu’il dit, et des erreurs dans lesquelles il tombe. Ainsi je ne l’examinerai point. Je dirai seulement qu’il avoit plus d’esprit que de lumières, plus de lumières que de savoir ; mais ce savoir n’étoit point méprisable, parce que, de notre histoire et de nos lois, il savoit très-bien les grandes choses.

M. le comte de Boulainvilliers et M. l’abbé Dubos [3] ont fait chacun un système, dont l’un semble être une conjuration contre le tiers-état, et l’autre une conjuration contre la noblesse. Lorsque le Soleil donna à Phaéton son char

  1. Mémoires historiques sur l’ancien gouvernement de France. Pour M. de Boulainvilliers, la noblesse française descend des Francs, les anciens vainqueurs des Gaules ; les bourgeois, roturiers et vilains sont les descendants dos anciens Gallo-Romains réduits en servitude. Ce livre est le roman de la vanité.
  2. En sa qualité de noble, le comte de Boulainvilliers se considérait comme un descendant des Francs. Montesquieu était dans le même sentiment. Il dit volontiers : nos pères les Germains.
  3. L'abbé Du Bos, l'auteur de l'Établissement de la monarchie française était plus érudit que Boulainvilliers, et peut-être moins loin de la vérité. Sur ces deux auteurs et leur système, il faut lire M. Augustin Thierry, dans l'introduction aux Récits mérovingiens.