Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/162

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« J’ai un enfant qui est très beau ; je n’osais pas vous en parler avant de savoir s’il sera comme nous. Mais je n’ai pu résister au plaisir que j’ai à vous écrire, malgré notre peine, car vous pensez bien que mon mari et moi nous sommes très inquiets, surtout parce que nous ne pouvons pas entendre. La bonne peut bien entendre, mais nous avons peur qu’elle ne se trompe ; ainsi nous attendons avec une grande impatience de voir s’il ouvrira les lèvres et s’il les remuera avec le bruit des entendants-parlants. Vous pensez bien que nous avons consulté des médecins pour savoir s’il est possible que l’enfant de deux personnes aussi malheureuses que nous ne soit pas muet aussi, et ils nous ont bien dit que cela se pouvait ; mais nous n’osons pas le croire.

« Jugez avec quelle crainte nous regardons ce pauvre enfant depuis longtemps, et comme nous sommes embarrassés lorsqu’il ouvre ses petites lèvres et que nous ne pouvons pas savoir si elles font du bruit ! Soyez sûr, mon père, que je pense bien à ma mère, car elle a dû s’inquiéter comme moi. Vous l’avez bien aimée, comme moi aussi j’aime mon enfant ; mais je n’ai été pour vous qu’un sujet de chagrin. Maintenant que je sais lire et écrire, je comprends combien ma mère a dû souffrir.

« Si vous étiez tout à fait bon pour moi, cher père, vous viendriez nous voir à Paris ; ce serait un sujet de joie et de reconnaissance pour votre fille respectueuse.

« Camille. »