Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/192

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dans une petite île : — Maintenant, messieurs, reprit-elle, voilà mon bâton jeté à l’ennemi. Qui de vous ira le chercher ?

— C’est fort imprudent, dit la Bretonnière ; cette cravache est fort jolie, la pomme en est très bien ciselée.

— Y aura-t-il du moins une récompense honnête ? demanda Armand.

— Fi donc ! s’écria la marquise. Vous marchandez avec la gloire ! Et vous, monsieur le hussard, ajouta-t-elle en se tournant vers Tristan, qu’est-ce que vous dites ? passerez-vous ?

Tristan semblait hésiter, non par crainte du danger ni du ridicule, mais par un sentiment de répugnance à se voir ainsi provoqué pour une semblable bagatelle. Il fronça le sourcil et répondit froidement :

— Non, madame.

— Hélas ! dit madame de Vernage en soupirant, si mon pauvre Phanor était là, il m’aurait déjà rendu ma cravache.

La Bretonnière, tâtant le pont avec sa canne, le contemplait d’un air de réflexion profonde ; appuyée nonchalamment sur la poutre brisée qui servait de rampe, la marquise s’amusait à faire plier les planches en se balançant au-dessus de l’eau : elle s’élança tout à coup, traversa le pont avec une vivacité et une légèreté charmantes, et se mit à courir dans l’île. Armand avait voulu la prévenir, mais son frère lui prit le bras, et,