Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/265

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torture à laquelle il se soumettait peu volontiers. Zélia, en le trahissant, se vengeait du bouchon.

— Êtes-vous folle ? dit Marcel ; vous savez bien que ce piano n’est là que pour la gloire, et qu’il n’y a que vous qui l’écorchiez, Dieu le sait. Où avez-vous pris que je sache faire danser ? Je ne sais que la Marseillaise, que je joue d’un seul doigt. Si vous vous adressiez à Eugène, à la bonne heure, voilà un garçon qui s’y entend ! mais je ne veux pas l’ennuyer à ce point, je m’en garderai bien. Il n’y a que vous ici d’assez indiscrète pour faire des choses pareilles sans crier gare.

Pour la troisième fois, Eugène rougit, et s’apprêta à faire ce qu’on lui demandait d’une façon si politique et si détournée. Il se mit donc au piano, et un quadrille s’organisa.

Ce fut presque aussi long que le souper. Après la contredanse vint une valse ; après la valse, le galop, car on galope encore au quartier Latin. Ces dames surtout étaient infatigables, et faisaient des gambades et des éclats de rire à réveiller tout le voisinage. Bientôt Eugène, doublement fatigué par le bruit et par la veillée, tomba, tout en jouant machinalement, dans une sorte de demi-sommeil, comme les postillons qui dorment à cheval. Les danseuses passaient et repassaient devant lui comme des fantômes dans un rêve ; et, comme rien n’est plus aisément triste qu’un homme qui regarde rire les autres, la mélancolie, à laquelle il était sujet, ne tarda pas à s’emparer de lui. — Triste joie, pensait-