Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/270

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exciter votre pitié, je vous les dirais, mais rien ne me vient à l’idée. Je ne puis que pleurer de mon impuissance, car, je le crains bien, vous ferez de ma lettre comme on fait quand on en reçoit trop souvent de pareilles : vous la déchirerez sans penser qu’une pauvre femme est là qui attend les heures et les minutes avec l’espoir que vous aurez pensé qu’il serait par trop cruel de la laisser ainsi dans l’incertitude. Ce n’est pas l’idée de donner un louis, qui est si peu de chose pour vous, qui vous retiendra, j’en suis persuadée ; aussi il me semble que rien ne vous est plus facile que de plier votre aumône dans un papier, et de mettre sur l’adresse : « À mademoiselle Bertin, rue de l’Éperon. » J’ai changé de nom depuis que je travaille dans les magasins, car le mien est celui de ma mère. En sortant de chez vous, donnez cela à un commissionnaire. J’attendrai mercredi et jeudi, et je prierai avec ferveur pour que Dieu vous rende humain.

« Il me vient à l’idée que vous ne croyez pas à tant de misère ; mais si vous me voyiez, vous seriez convaincu.

« Rougette. »

Si Eugène avait d’abord été touché en lisant ces lignes, son étonnement redoubla, on le pense bien, lorsqu’il vit la signature. Ainsi c’était cette même fille qui avait follement dépensé son argent en parties de plaisir, et imaginé ce souper ridicule raconté par made-