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LECTURES DU SOIR.

I. — dix mois d’une guerre héroïque.


Le 24 février 1793, la Convention nationale décréta une levée supplémentaire de trois cent mille hommes pour résister à la coalition étrangère ; le 10 mars suivant, le tirage des conscrits devait avoir lieu à Saint-Florent, en Anjou, pour le contingent de cette commune.

Ni la proscription des nobles, ni la mort de Louis XVI n’avaient pu émouvoir les paysans de l’Ouest ; mais la dispersion de leurs prêtres, la violation de leurs églises, l’intronisation des curés assermentés dans les paroisses, et enfin cette dernière mesure de la conscription, les poussèrent à bout. — Puisqu’il faut mourir, mourons chez nous ! s’écrièrent-ils.

Ils se jetèrent sur les commissaires de la Convention, et, armés de leurs bâtons, ils mirent en pleine déroute la milice rassemblée pour protéger le tirage.

Ce jour-là, la guerre de Vendée venait de commencer ; le noyau de l’armée catholique et royale se formait sous la direction du voiturier Cathelineau et du garde-chasse Stofflet.

Le 14 mars, la petite troupe s’empara du château de Jallais, défendu par les soldats du 84e et par la garde nationale de Charonnes. Là, fut enlevé aux républicains ce premier canon de l’armée catholique, qui fut baptisé le Missionnaire.

— À cela il faut une suite, dit Cathelineau à ses camarades.

Cette suite fut la guerre de ces paysans, qui mirent aux abois les meilleures troupes de la république.

Après le coup de main du château de Jallais, les deux chefs vendéens s’emparèrent de Chollet, et firent des cartouches avec les gargousses des canons républicains. Le mouvement gagna, dès lors, les provinces du Poitou et de l’Anjou ; à la fin de mars, Chantonnay fut pillé, Saint-Fulgent pris. Pâques approchait, les paysans se séparèrent pour aller accomplir leurs devoirs religieux, cuire du pain, et changer leurs sabots usés à poursuivre les Bleus.

En avril, l’insurrection recommença ; les gars du Marais et ceux du Bocage se rassemblèrent sous les ordres de MM. de Charette, de Bonchamps, d’Elbée, de La Rochejaquelein, de Lescure, de Marigny. Des gentilshommes bretons vinrent se jeter dans le mouvement, et parmi eux, l’un des plus braves, l’un des meilleurs, le comte Humbert de Chanteleine ; il quitta son château, et rejoignit l’armée catholique, forte alors de cent mille hommes.

Le comte de Chanteleine, toujours au premier rang, fut pendant dix mois de toutes les victoires comme de toutes les défaites, vainqueur à Fontenay, à Thouars, à Saumur, à Bressuire, vaincu au siège de Nantes, où mourut le généralissime Cathelineau.

Bientôt toutes les provinces de l’Ouest furent soulevées.

Les Blancs marchèrent alors de victoire en victoire, et ni Aubert Dubayet, ni Kléber avec ses terribles Mayençais, ni les troupes du général Canclaux ne purent résister à leur indomptable ardeur.

La Convention, effrayée, ordonna de détruire le sol de la Vendée et d’en chasser les « populations. » Le général Santerre demanda des mines pour faire sauter le pays, et des fumées soporifiques pour l’étouffer ; il voulait procéder par l’asphyxie générale. Les Mayençais furent chargés de « créer le désert » décrété par le comité de salut public.

Les troupes royales, à ces nouvelles, devinrent terribles ; le comte de Chanteleine commandait alors un corps de cinq mille hommes ; il se battit en héros à Doué, aux ponts de Cé, à Torfou, à Montaigu. Mais enfin, l’heure des revers sonna.

Le 9 octobre, de Lescure fut vaincu à Châtillon ; le 15, les Vendéens étaient chassés de Chollet ; quelques jours plus tard, Bonchamps et d’Elbée tombaient frappés à mort. Marigny et Chanteleine firent des prodiges de valeur, mais les colonnes républicaines les serraient de près ; il fallut songer alors à repasser la Loire avec une armée fugitive qui comptait encore quarante mille hommes en état de combattre.

Le fleuve fut franchi au milieu d’une extrême confusion. Chanteleine et les siens rallièrent l’armée de La Rochejaquelein, qui venait d’être nommé généralissime, et là, malgré Kléber, les Blancs remportèrent une grande victoire devant Laval, la dernière de cette héroïque campagne.

En effet, les Blancs étaient désorganisés. Chanteleine travailla de son mieux à refaire l’armée royale ; il n’en avait ni le temps ni les moyens. Marceau venait d’être nommé général en chef par le comité de salut public, et il poursuivait les royalistes avec une extrême vigueur. La Rochejaquelein, Marigny, Chanteleine, durent se replier sur le Mans, puis se rejeter dans Laval, d’où ils furent chassés une troisième fois, et fuir enfin vers Ancenis, afin de repasser sur la rive gauche de la Loire.

Mais pas un pont, pas un bateau ; la masse désespérée des paysans descendit la rive droite du fleuve, et, ne pouvant regagner la Vendée, les fuyards n’eurent d’autre ressource que de se jeter sur la Bretagne. À Blain, ils remportèrent un dernier avantage d’arrière-garde, et se précipitèrent vers Savenay.

Le comte de Chanteleine n’avait pas un seul instant failli à son devoir ; ce fut pendant la journée du 22 décembre que Marigny et lui, suivis d’une foule effarée, arrivèrent devant la ville ; ils s’embusquèrent avec une poignée de Vendéens dans deux petits bois qui couvrent Savenay.

— C’est ici qu’il faut mourir, dit Chanteleine.

Quelques heures plus tard, parurent Kléber et l’avant-garde républicaine ; le général lança trois compagnies sur les gars de Marigny et de Chanteleine ; malgré leurs efforts opiniâtres, il les débusqua et les força de rentrer dans la ville. Puis il s’arrêta, et ne fit plus un pas en avant. Marceau et Westerman le pressèrent d’attaquer ; mais Kléber, voulant donner le temps à toute l’armée royale de se concentrer dans Savenay, ne bougea pas. Il disposa ses troupes en croissant, sur les hauteurs voisines, et il attendit patiemment l’heure d’écraser les Blancs d’un seul coup.

La nuit qui vint fut sinistre et silencieuse. On sentait que le dénoûment de cette guerre était proche. Les chefs royalistes se réunirent dans un conseil suprême. Il n’y avait plus rien à attendre que de l’énergie du désespoir ; pas de quartier à espérer, pas de reddition à tenter, toute fuite impossible, il fallait donc se battre, et, pour mieux se battre, attaquer.

Le lendemain, le 23 décembre, ou, pour parler le langage du calendrier républicain, le 3 nivôse de l’an II, à huit heures du matin, les Blancs se jetèrent sur les Bleus.

Il faisait un temps affreux ; une pluie froide et glaciale tombait à torrents ; les marais étaient chargés de brouillards ; la Loire disparaissait sous la brume ; le combat allait se livrer dans la boue.

Quoique inférieurs en nombre, les Vendéens attaquè-