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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

après, arrive l’autre partie, apportant pour toute pièce à consulter une généalogie prouvant qu’il était, aussi, cousin de monsieur de Roburent et d’un degré plus rapproché. Celui-ci l’examine avec grand soin, convient de l’injustice qu’il a commise, descend chez le Roi, et rapporte un second Biglietto regio qui rétablit le jugement du tribunal. Tout cela se passait sans mystère ; il ne fallait en mettre un peu que pour en rire, quand on était dans une position officielle comme la nôtre.

L’intolérance était portée au point que l’ambassade de France devint un lieu de réprobation. On ne pardonnait pas à notre Roi d’avoir donné la Charte, encore moins à mon père de l’approuver et de proclamer hautement que cette mesure, pleine de sagesse, était rendue indispensable par l’esprit public en France.

Ces doctrines subversives se trouvaient tellement contraires à l’esprit du gouvernement sarde que, ne pouvant empêcher l’ambassadeur de les professer, on laissait entrevoir aux piémontais qu’il valait mieux ne point s’exposer à les entendre.

Les Purs étaient peu disposés à venir à l’ambassade. Ceux qui, ayant servi en France, avaient des idées un peu plus libérales, craignaient de se compromettre, de sorte que nous ne voyions guère les gens du pays qu’en visite de cérémonie. Il n’y avait pas grand’chose à regretter.

La société de Turin, comme celle de presque toutes les villes d’Italie, offre peu de ces honnêtes médiocrités dont se compose le monde dans les autres contrées. Quelques savants et des gens de la plus haute distinction, plus nombreux peut-être qu’ils ne sont ailleurs, y mènent une vie retirée, pleine d’intérêt et d’intelligence. Si on peut pénétrer dans cette coterie ou en faire sortir quelques-uns des membres qui la composent, on est amplement payé des soins qu’il a fallu se donner pour atteindre