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LADY GEORGE BERESFORD

la table où je me trouvais assise. Elle paraissait aux uns disproportionnée au mérite de lady George ; les autres ne la trouvaient qu’équivalente.

Elle était si blanche, d’une si belle tournure, tant de talents, si gracieuse ! — Pas tant, et puis elle n’était plus très jeune. — Elle lui avait donné de si beaux enfants ! — Sa santé s’altérait, son teint se gâtait. — Elle avait tant d’esprit ! — Elle devenait triste et assez maussade depuis quelques mois.

La discussion se soutenait, avec un avantage à peu près égal, lorsque la maîtresse de la maison la termina en disant :

« Je vous accorde que douze mille louis est une bien grosse somme, mais le pauvre lord George l’aimait tant ! »

La force de cet argument parut irrésistible et concilia toutes les opinions. J’écoutais avec étonnement. Je me sentais froissée d’entendre des femmes de la plus haute volée énumérer et discuter les mérites d’une de leurs compagnes comme on aurait pu faire des qualités d’un cheval et ensuite apprécier en écus le chagrin que sa perte avait dû causer à son mari qui, déjà, me paraissait odieux en poursuivant devant les tribunaux la mère de ses enfants frappée par la main de Dieu de la plus grande calamité à laquelle un être humain puisse être condamné.

Faut-il conclure de là que la haute société en Angleterre manque de délicatesse ! Cela serait aussi injuste que d’établir que les femmes françaises sont sans modestie parce qu’elles emploient quelques locutions proscrites de l’autre côté du canal. Ce qui est vrai, c’est que les différents usages présentent les objets sous d’autres faces, et qu’il ne faut pas se hâter de juger les étrangers sans avoir fait un profond examen de leurs mœurs. Quelle