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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

son front s’éclaircirent un peu. Elle sourit gracieusement à son mari, mais elle n’en fut guère plus accorte pour les autres. Ses voisins n’en tirèrent que difficilement de rares paroles. J’eus tout le loisir de l’examiner pendant que dura un assez mauvais dîner.

Je ne puis parler de sa taille, sa grossesse ne permettait pas d’en juger. On voyait seulement qu’elle était grande et fortement construite. Ses cheveux étaient d’un blond presque filasse, ses yeux bleu porcelaine, point de sourcils, point de cils, un teint d’une blancheur égale sans aucune couleur. On doit s’écrier : « Quelle fadeur ! elle était donc d’une figure bien insipide ? » Pas du tout. J’ai rarement rencontré une physionomie plus vive et plus mobile ; son regard était plein d’expression. Sa bouche vermeille, et ornée de dents comme des perles, avait les mouvements les plus agréables et les plus variés que j’aie jamais vus, et l’extrême jeunesse des formes compensant le manque de coloris de la peau lui donnait un air de fraîcheur remarquable.

Le dîner achevé, elle fit un léger signal de départ aux femmes et passa dans le salon ; nous l’y suivîmes. Elle se mit dans un coin avec une de ses amies d’enfance, nouvellement mariée et grosse comme elle, dont j’oublie le nom. Leur chuchotage dura jusqu’à l’arrivée du prince, resté à table avec les hommes.

Il trouva toutes les autres femmes à une extrémité du salon et la princesse établie dans son tête-à-tête de pensionnaire. Il chercha vainement à la remettre en rapport avec ses convives. Il rapprocha des fauteuils pour les ambassadrices et voulut établir une conversation qu’il tâcha de rendre générale ; mais cela fut impossible. Enfin la comtesse de Lieven, fatiguée de cette exclusion, alla s’asseoir, sans y être appelée, sur le même sopha que la princesse et commença à voix basse une conversation