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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

la nécromancie, sous quelque forme qu’elle se présentât. Le motif qui lui avait fait exiger cet engagement est assez curieux pour que je le rapporte ici.

Lorsque mon père entra au service, il eut pour mentor le lieutenant-colonel de son régiment, le chevalier de Mastyns, ami de sa famille, qui le traitait paternellement. C’était un homme d’une superbe figure ; il avait fait la guerre avec distinction et son caractère bon et indulgent sans faiblesse le rendait cher à tout le régiment.

Dans un cantonnement d’une petite ville en Allemagne, pendant une des campagnes de la guerre de Sept Ans, une bohémienne s’introduisit dans la salle où se tenait le repas militaire. Sa présence offrit quelques distractions à l’oisiveté du corps d’officiers dont le chevalier de Mastyns, fort jeune alors, faisait partie. Il éprouva d’abord de la répugnance contre elle et fit quelques remontrances à ses camarades, puis il céda et finit par livrer sa main à l’inspection de la bohémienne.

Elle l’examina attentivement et lui dit :

« Vous avancerez rapidement dans la carrière militaire ; vous ferez un mariage au-dessus de vos espérances ; vous aurez un fils que vous ne verrez pas, et vous mourrez d’un coup de feu avant d’avoir atteint quarante ans. »

Le chevalier de Mastyns n’attacha aucune importance à ces pronostics. Cependant, lorsqu’en peu de mois il obtint deux grades consécutifs, dus à sa brillante conduite à la guerre, il rappela les paroles de la diseuse de bonne aventure à ses camarades. Elles lui revinrent aussi à la mémoire quand il épousa, quelques années plus tard, une jeune fille riche et de bonne maison. Sa femme était au moment d’accoucher ; il avait obtenu un congé pour aller la rejoindre. La veille du jour où il devait partir, il dit :