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à travers le grönland.

Chaque fois que le kayak descend la pente d’une vague, on reçoit une forte secousse qui vous ébranle la mâchoire. De cela les Eskimos ne s’aperçoivent guère, la nature les ayant pourvus de râteliers aussi résistants que le fer.

Le rendement de cette pêche est très important. Un flétan pèse de 100 à 200 kilogrammes et fournit une excellente nourriture. Pendant quinze jours j’ai vu cinq personnes vivre exclusivement d’un de ces poissons.


en kayak en pleine mer. (dessin de th. holmboe, d’après un croquis de m. nansen.)

Un jour que je pêchais sur les bancs, le temps était absolument calme, lorsque soudain l’horizon noircit dans le sud et bientôt la brise s’élève de cette direction. En toute hâte nous relevons les lignes ; une fois que nous sommes parés, la tempête éclate, précédée seulement de quelques bouffées de vent. Le courant et la mer portaient en sens contraire et leur choc produisait de hautes vagues courtes et clapoteuses. Nous essayons de poursuivre notre route, mais bientôt le danger devient pressant, en toute hâte nous devons chercher un refuge à terre.

Semblable aventure arrive fréquemment aux Grönlandais, mais pour moi elle avait le charme de la nouveauté en mettant à l’épreuve mon habileté de kayakman. En pareille occurrence il faut veiller aux vagues ; si une lame vous surprenait sans que la rame fût à l’eau, on serait infailliblement perdu.