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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

pouvons pas percevoir l’être : où est l’imposteur ? » « — Nous le tenons, s’écrient-ils joyeusement, c’est la sensualité ! Les sens, qui d’autre part sont tellement immoraux… les sens nous trompent sur le monde véritable. Morale : se détacher de l’illusion des sens, du devenir, de l’histoire, du mensonge, — l’histoire n’est que la foi en les sens, la foi au mensonge. Morale : nier tout ce qui ajoute foi aux sens, tout le reste de l’humanité : tout cela fait partie du « peuple ». Être philosophe, être momie, représenter le monotono-théisme par une mimique de fossoyeur ! — Et périsse avant tout le corps, cette pitoyable idée fixe des sens ! le corps atteint de tous les défauts de la logique, réfuté, impossible même, quoiqu’il soit assez impertinent pour se comporter comme s’il était réel ! »…

2.

Je mets à part avec un profond respect le nom d’Héraclite. Si le peuple des autres philosophes rejetait le témoignage des sens parce que les sens sont multiples et variables, il en rejetait le témoignage parce qu’ils présentent les choses comme si elles avaient de la durée et de l’unité. Héraclite, lui aussi, fit tort aux sens. Ceux-ci ne mentent ni à la façon qu’imaginent les Éléates ni comme il se le figurait, lui, — en général ils ne mentent pas. C’est ce que nous faisons de leur témoignage qui y met le mensonge, par exemple le mensonge de l’unité, le mensonge de la réalité, de la substance, de la durée… Si nous faussons le témoignage des sens, c’est la « rai-