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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

anglais !), les faibles ont plus d’esprit… Il faut avoir besoin d’esprit pour arriver à avoir de l’esprit, — (on perd l’esprit lorsque l’on n’en a plus besoin). Celui qui a de la force se défait de l’esprit (— « Laisse-le aller ! pense-t-on aujourd’hui en Allemagne — il faut que l’Empire nous reste[1] »…). Ainsi qu’on le voit, j’entends par esprit, la circonspection, la patience, la ruse, la dissimulation, le grand empire sur soi-même et tout ce qui est mimicry (une grande partie de ce que l’on appelle vertu appartient à cette dernière).

15.

Casuistique du psychologue. — Celui-ci connaît les hommes : pourquoi donc les étudie-t-il ? Il ne veut pas obtenir sur eux de petits avantages, ni même de grands, — c’est un homme politique !… Celui-là connaît aussi les hommes : et vous dites qu’il ne veut rien en tirer pour lui-même ; c’est, dites-vous, un grand « impersonnel ». Voyez donc de plus près ! Peut-être veut-il même un avantage encore pire : se sentir supérieur aux hommes, avoir le droit de les regarder de haut, ne plus se confondre avec eux. Cet « impersonnel » méprise les hommes : et le premier est de l’espèce plus humaine, quoi que puisse en faire croire l’apparence. Il se place du moins en égal, il se place au milieu

  1. Allusion à un vers du Cantique de Luther : « Lass fahren dahin… das Reich muss uns doch bleiben » que Nietzsche applique à l’Empire allemand. — N. d. T.