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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES


tions s’il voit cet animal le plus brave, le plus rusé et le plus endurant, égaré même dans des détresses inextricables, combien admirable lui paraît l’homme ! Il l’encourage encore… Mais le philosophe méprise l’homme qui désire, et aussi celui qui peut paraître désirable — et en général toute désirabilité, tous les idéaux de l’homme. Si un philosophe pouvait être nihiliste, il le serait parce qu’il trouve le néant derrière tous les idéaux. Et pas même le néant, — mais seulement ce qui est futile, absurde, malade, fatigué, toute espèce de lie dans le gobelet vidé de son existence… L’homme qui est si vénérable en tant que réalité, pourquoi ne mérite-t-il point d’estime lorsqu’il désire ? Faut-il qu’il contrebalance ses actions, la tension d’esprit et de volonté qu’il y a dans toute action, par une paralysie dans l’imaginaire et dans l’absurde ? — L’histoire de ses désirs fut jusqu’à présent la partie honteuse de l’homme. Il faut se garder de lire trop longtemps dans cette histoire. Ce qui justifie l’homme, c’est sa réalité, elle le justifiera éternellement. Et combien plus de valeur a l’homme réel, si on le compare à un homme quelconque qui n’est que tissu de désirs, de rêves, de puanteurs et de mensonges ? avec un homme idéal quelconque ?… Et ce n’est que l’homme idéal qui soit contraire au goût du philosophe.

33.

Valeur naturelle de l’égoïsme. — L’amour de soi ne vaut que par la valeur physiologique de ce-