ques qui élèvent l’énergie du sens vital : elle agit
d’une façon dépressive. On perd de la force quand
on compatit. Par la pitié s’augmente et se multiplie
la déperdition de force que la souffrance déjà
apporte à la vie. La souffrance elle-même devient
contagieuse par la pitié ; dans certains cas, elle peut
amener une déperdition totale de vitalité et
d’énergie, perte absurde, quand on la compare à la
petitesse de la cause (— le cas de la mort du Nazaréen).
Voici le premier point de vue ; pourtant il en existe
un plus important encore. En admettant que l’on
mesure la pitié d’après la valeur des réactions
qu’elle a coutume de faire naître, son caractère de
danger vital apparaîtra plus clairement encore. La
pitié entrave en somme la loi de l’évolution qui est
celle de la sélection. Elle comprend ce qui est mûr
pour la disparition, elle se défend en faveur des
déshérités et des condamnés de la vie. Par le nombre et
la variété des choses manquées qu’elle retient
dans la vie, elle donne à la vie elle-même un aspect
sombre et douteux. On a eu le courage d’appeler
la pitié une vertu (— dans toute morale noble elle
passe pour une faiblesse —) ; on est allé plus
loin, on a fait d’elle la vertu, le terrain et l’origine
de toutes les vertus. Mais il ne faut jamais oublier
que c’était du point de vue d’une philosophie qui
était nihiliste, qui inscrivait sur son bouclier la négation de la vie. Schopenhauer avait raison quand
il disait : La vie est niée par la pitié, la pitié rend la
vie encore plus digne d’être niée, — la pitié, c’est la
pratique du nihilisme. Encore une fois : cet instinct,
dépressif et contagieux croise ces autres instincts
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L’ANTÉCHRIST