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LE CAS WAGNER

7.

Assez ! Assez ! Je crains qu’on ne reconnaisse trop clairement, sous mes saillies joyeuses, la sinistre réalité — l’image d’une déchéance de l’art, d’une déchéance aussi des artistes. Cette dernière, une déchéance de caractère, trouverait peut-être son expression provisoire dans la formule suivante : le musicien devient maintenant comédien, son art évolue toujours davantage vers l’art de mentir. J’aurai l’occasion (dans un chapitre de mon ouvrage principal qui porte le titre de Contribution à la Physiologie de l’Art), de montrer plus clairement que l’évolution générale de l’art, dans le sens du cabotinage, est une manifestation de la dégénérescence physiologique (plus exactement une forme de l’hystérie), tout aussi bien que chacune des corruptions et des infirmités de l’art inauguré par Wagner : par exemple l’instabilité de son optique qui force à changer continuellement de posture en face d’elle. On ne comprend rien à Wagner tant qu’on ne voit en lui qu’un jeu de la nature, un hasard, un caprice, un accident. Ce n’était pas un génie « à lacunes », « dévoyé » et « contradictoire », comme on a pu dire. Wagner était quelque chose de complet, un décadent type, à qui manque tout « libre arbitre », dont chaque trait répond à une nécessité. S’il y a quelque chose d’intéressant dans Wagner, c’est assurément la logique avec laquelle un vice physiologique se transforme en pratique, et en procédé, en innovation dans les principes en crise du goût, allant pas à pas, de conclusion en conclusion.