avons vu tout à l’heure une législation religieuse
ayant pour but d’« éterniser » une grande
organisation de la société, condition supérieure pour faire
prospérer la vie ; — le christianisme au contraire a
trouvé sa mission dans la destruction d’un pareil
organisme, puisque la vie y prospérait. Là-bas les
résultats de la raison, durant de longues années
d’expérience et d’incertitude, devaient être semés
pour servir dans les temps les plus lointains et la
récolte devait être aussi grande, aussi abondante,
aussi complète que possible : ici l’on voudrait, au
contraire, empoisonner la récolte pendant la nuit…
Ce qui existait aere perennius, l’Empire romain, la
plus grandiose forme d’organisation, sous des
conditions difficiles, qui ait jamais été réalisée, tellement
grandiose que, comparé à elle, tout ce qui l’a
précédé et tout ce qui l’a suivi n’a été que dilettantisme,
chose imparfaite et gâchée, — ces saints anarchistes
se sont fait une « piété » de détruire « le monde »,
c’est-à-dire l’Empire romain, jusqu’à ce qu’il n’en
restât plus pierre sur pierre, — jusqu’à ce que les
Germains mêmes et d’autres lourdauds aient pu s’en
rendre maîtres… Le chrétien et l’anarchiste sont
décadents tous deux, tous deux incapables d’agir
autrement que d’une façon dissolvante, venimeuse,
étiolante, partout ils épuisent le sang, ils ont tous
deux, par instinct, une haine à mort contre tout ce
qui existe, tout ce qui est grand, tout ce qui a de la
durée, tout ce qui promet de l’avenir à la vie… Le
christianisme a été le vampire de l’Empire romain,
— il a mis à néant, en une seule nuit, cette action
énorme des Romains : avoir gagné un terrain pour
Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/338
Apparence
(Redirigé depuis Page:Nietzsche - Le Crépuscule des idoles.djvu/338)
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
L’ANTÉCHRIST