une grande culture qui a le temps. — Ne
comprend-on toujours pas ? — L’Empire romain que nous
connaissons, que l’histoire de la province romaine
enseigne toujours davantage à connaître, cette
admirable œuvre d’art de grand style, était un
commencement, son édifice était calculé pour être démontré
par des milliers d’années, — jamais jusqu’à nos
jours on n’a construit de cette façon, jamais on n’a
même rêvé de construire, en une égale mesure sub specie œterni ! — Cette organisation était assez forte
pour supporter de mauvais empereurs : le hasard
des personnes ne doit rien avoir à voir en de pareilles
choses — premier principe de toute grande
architecture. Pourtant elle n’a pas été assez forte contre
l’espèce la plus corrompue des corruptions, contre le
chrétien… Cette sourde vermine qui s’approchait de
chacun au milieu de la nuit et dans le brouillard des
jours douteux, qui soutirait à chacun le sérieux pour
les choses vraies, l’instinct des réalités, cette bande
lâche, féminine et doucereuse, a éloigné, pas à pas,
l’ « âme » de cet énorme édifice, — ces natures
précieuses, virilement nobles qui voyaient dans la cause
de Rome leur propre cause, leur propre sérieux et
leur propre fierté. La sournoiserie des cagots, la
cachotterie des conventicules, des idées sombres
comme l’enfer, le sacrifice des innocents, comme
l’union mystique dans la dégustation du sang, avant
tout le ieu de la haine lentement avivé, la haine des
Tchândâla — c’est cela qui devint maître de Rome,
la même espèce de religion qui, dans sa forme
préexistante, avait déjà été combattue par Épicure.
Qu’on lise Lucrèce pour comprendre ce à quoi Épi-
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L’ANTÉCHRIST