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NIETZSCHE CONTRE WAGNER


soupçon, on revient régénéré. Comme si l’on avait fait peau neuve on est devenu plus chatouilleux et plus méchant, avec un goût plus subtil pour la joie, avec une langue plus délicate pour toutes les bonnes choses, avec des sens plus joyeux, avec une seconde et plus périlleuse innocence dans la joie, à la fois plus enfantin et cent fois plus raffiné qu’on ne l’était autrefois.

Ô combien nous répugne maintenant la jouissance, la grossière, sourde et obscure jouissance, telle que la comprennent généralement les jouisseurs, nos « gens instruits », nos riches et nos gouvernants ! Avec quelle malice nous écoutons maintenant tout ce tam-tam de foire, au milieu duquel l’homme instruit et le citadin se laissent aujourd’hui violenter par l’art, par le livre, par la musique pour arriver à la « jouissance spirituelle », arrosée de boissons spiritueuses ! Combien maintenant ces clameurs théâtrales font mal à nos oreilles, combien nous sont devenus étrangers le tumulte romantique, le brouillamini des sens qui plaît à la populace instruite, et toutes ces aspirations vers l’idéal, le sublime, l’amphigourique ! Non, si nous qui sommes guéris, nous avons encore besoin d’un art, c’est d’un tout autre art — d’un art enjoué, léger, fugitif, divinement factice et plein d’une divine assurance, d’un art qui, comme une pure flamme, flamboie vers un ciel sans nuages ! Avant tout : un art pour des artistes, seulement pour des artistes ! Alors nous nous entendrons mieux sur ce qui importe pour cela, la gaieté, toute la gaieté, mes amis !… Il y a certaines choses que nous savons trop bien, maintenant, nous qui possédons la connais-