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SOLITUDE


Tout est si noir, la rose est noire,
Noirs les graviers, le mur, le banc,
Les rameaux du cerisier blanc
Et l’eau du puits si douce à boire.

Je suis là, rien n’a de regard
Pour ma vie aimable et sensible,
Le feuillage à peine visible
Est lisse et froid comme un lézard.

Craintive, ardente, solitaire,
Je songe, le coeur amolli,
Aux grands esprits ensevelis
Dans la profondeur de la terre.

Ô frères morts ! tout est fini
Pour votre espoir, pour votre joie ;
Une ombre insondable vous noie
Sous votre porte de granit.

Aujourd’hui, chantante, vivante,
Je suis aussi seule que vous
Dans cette nuit au parfum doux,
Où l’arbre indolemment s’évente ;

Je suis, dans cette obscurité,
Moins que le saule et que le lierre,
Que les reflets sur la rivière,
Que le chant d’un oiseau d’été.